dimanche 25 septembre 2011

Arabie Saoudite : La rente et le bâton pour casser les révoltes - A la une - El Watan

Arabie Saoudite : La rente et le bâton pour casser les révoltes - A la une - El Watan

Arabie Saoudite : La rente et le bâton pour casser les révoltes

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte

le 25.09.11 | 01h00 4 réactions

   Petite photo : Pascal Ménoret
zoom | © Lyès. H.
Petite photo : Pascal Ménoret

Au deuxième jour du colloque international d’El Watan, Pascal Ménoret, professeur assistant à la New York University d’Abu Dhabi, a disséqué le régime saoudien. Le conférencier a dévoilé la singularité du royaume wahhabite que l’on qualifie «d’impossible printemps saoudien».

Le vent de la révolte qui a soufflé sur le monde arabe n’a pas épargné le royaume d’Arabie Saoudite. Mais ce souffle a été court dans ce pays où rente pétrolière, répression policière et appui étranger, sont le maître-mot pour dissuader toute velléité de soulèvement. Annonce inédite : la rente pétrolière ne profite pas à tous les Saoudiens et elle est essentiellement utilisée pour renforcer les appareils répressifs. Le cas «Arabie Saoudite» est, sur ce plan, intéressant à mettre en évidence. C’est la mission à laquelle s’est attelé, hier, au deuxième jour des travaux du colloque sur le printemps arabe organisé par El Watan et l’université Paris VIII, Pascal Ménoret, professeur assistant à la New York University d’Abu Dhabi. Sans s’évertuer à donner un nom au cas saoudien que certains qualifient «d’impossible printemps saoudien» ou «d’hiver saoudien» comme souligné par Pascal Ménoret, ce dernier entame sa dissection du régime saoudien en relevant que beaucoup d’argent a été dépensé depuis le début des événements, en février dernier, pour tuer dans l’œuf la contestation.

Le conférencier, auteur du livre L’Enigme saoudienne, estime que le régime saoudien ne s’est pas laissé prendre par surprise, et qu’il a affûté toute une stratégie de réaction pour étouffer, suite aux événements survenus en Tunisie puis en Egypte, la voix de l’opposition. C’est cette préparation à tout mouvement social ou politique émergent et menaçant qui a expliqué l’échec de la mobilisation populaire. «Le retour du roi Abdellah, après un traitement médical qui a duré trois mois, a été marqué par l’annonce de 13 ordres royaux où figure en tête la distribution de 35 milliards de dollars au profit de tous les secteurs économiques et sociaux. Le 24 février, les rues étaient bondées pour saluer le passage du roi.

Une sortie qui a été saluée par les journaux saoudiens comme une réponse à la révolte réprimée, et aux Etats-Unis on sort la vieille rengaine de la démocratie bédouine. L’analyse européenne, quant à elle, axe sur cette rente pétrolière qui peut éviter la révolte. Une notion qui a longtemps été calquée sur ce peuple qu’on veut réduire à un peuple de consommateurs, comme disent les Saoudiens : ‘Notre seul droit est celui d’acheter ou de refuser d’acheter.’», note M. Ménoret, en précisant que contrairement aux idées reçues, dans ce pays il existe des mouvements politiques et d’opposition. «On peut classer ces mouvements en trois grands pôles ou catégories analytiques. Il est vrai que ce ne sont pas des mouvements politiques au sens propre du terme, car dans ce pays, les partis politiques, les syndicats et toutes les formes modernes de regroupement sont interdits», signale le conférencier, dans un retour à la matrice des mouvements de contestation saoudiens.

Catégorisant donc ces trois familles de l’opposition saoudienne, M. Ménoret adopte une division géographique des différents courants. Ainsi, il cite les «périphériques», groupes concentrés dans la province orientale connue pour la richesse pétrolière de son sous-sol ; la «famille occidentale» ou la majorité sunnite établie dans le Hidjaz, plus précisément à Djeddah, dont «la particularité est qu’elle est connue pour la large étendue du système de corruption. C’est dans cette région qu’un mouvement anticorruption est né», indique M. Ménoret.

La troisième famille des mouvements de l’opposition se situe dans l’extrême nord appelé El Djaouf, où la violence politique est la plus prononcée. «De nombreux attentats ciblés contre des alliés du régime ont été enregistrés dans cette région. Et il s’agit d’ailleurs d’une province extrêmement pauvre», note le conférencier, qui indique que parmi ces trois mouvements, certains dénoncent le mal-développement, la pauvreté et la corruption. Si l’idée de pauvreté en Arabie Saoudite peut paraître antinomique, des chiffres rapportés par le conférencier font pourtant apparaître au grand jour l’autre visage de ce royaume.

L’autre Arabie Saoudite

«La pauvreté n’est pas visible à cause de l’urbanisation. Il faut pourtant savoir que 20% des Saoudiens vivent avec moins de 3 dollars par jour et 5% vivent avec moins de 1 dollar par jour. Dans le classement de la Banque mondiale, vivre avec 1,5 dollar par jour est l’extrême pauvreté.» Dans le classement des mouvements de protestation saoudiens, M. Ménoret évoque une catégorie de pétitionnaires qui trouve dans l’usage de la pétition une voie de se faire entendre. «La pétition est en fait une tradition paternaliste saoudienne réservée à la seule clientèle du roi. Depuis quelques années, des mouvements libéraux constitués d’avocats, de médecins, de cadres, etc., se sont appropriés cette méthode d’expression et face à laquelle les autorités ont confronté une répression violente.

C’est après le 11 septembre que la pétition est revenue comme forme de contestation pour réclamer une monarchie constitutionnelle et l’émancipation pour les femmes, la lutte contre la corruption et le clientélisme, c’est-à-dire viser le cœur même du système saoudien. Et depuis cette date, beaucoup de partisans de la monarchie constitutionnelle ont été mis en prison et certains y sont encore», explique l’orateur et invité d’El Watan. Autre mouvement dont le souffle demeure, celui des mères et pères des prisonniers politiques : «Depuis le 11 septembre il y a eu pas moins de 6000 personnes arrêtées, l’arbitraire devient loi et le ministère de l’Intérieur arrête et juge sans qu’on lui demande des comptes.»

La contestation d’Oum Saoud, mère d’un détenu mort dans l’incendie d’un pénitencier en 2003, devient alors le symbole de l’opposition à la dynastie Ibn Saoud. Ce sont les soulèvements égyptien et tunisien qui ont rendu l’âme à tous les mouvements d’opposition saoudienne. «Des manifestations se sont déroulées devant le ministère du Travail, des chômeurs ont contesté l’emploi anti-saoudien et pro-immigration, des actes d’immolation ont été recensés ; à La Mecque des manifestations d’ouvriers ont eu lieu. Sur facebook, les appels de l’opposition islamique ont été relayés par des cheikhs qui ont aussi signé de nombreuses pétitions. Et trois appels majeurs se sont fait jour, à savoir un Etat de droit, la réforme et la monarchie constitutionnelle et aussi des appels à la lutte contre le chômage des jeunes.»

M. Ménoret souligne que le chômage touche 27% des jeunes de moins de 30 ans et 40% de ceux entre 20 et 24 ans. Dès le début de la contestation, en février 2011, la répression est utilisée. Des arrestations sont opérées dans les rangs des pétitionnaires, les membres fondateurs d’un parti islamique sont tous interpellés, les manifestations en soutien au soulèvement au Bahreïn sont réprimées. «Le régime saoudien bénéficie de l’absence de l’effet surprise. Un ordre de bataille a été donné pour lutter contre toute forme de contestation. Il y a eu aussi une première réaction qui est d’ouvrir la machine à sous. 35 milliards de dollars dépensés en février, puis 100 milliards de dollars après, au profit de tous : deux mois de salaire payés aux employés de la Fonction publique, une allocation chômage cédée, une commission de lutte contre la corruption créée. Il y a eu aussi en face le recrutement de 60 000 nouveaux policiers, le paiement des arriérés de salaire des agents des appareils de sécurité», explique Pascal Ménoret, qui note que les contre-manifestations sont organisées avec l’appui des intellectuels de la cour pour dire que les rassemblements sont des formes de déviance. Des appels à la tradition salafiste se font jour et les partis politiques sont criminalisés.

Le conférencier cite, en outre, la prononciation de peines d’emprisonnement de 3 à 5 ans contre les manifestants, et le ministère de l’Intérieur investit les réseaux sociaux (Twitter, facebook) et les SMS pour distiller sa propagande anti-manifestations. «Le régime use de la politique de la carotte et du bâton», note M. Ménoret en constatant que le mouvement réformiste a échoué pour ces raisons-là, mais il reste, dit-il, le mouvement des familles des détenus politiques qui, lui, n’a pas perdu son souffle et maintient ses rassemblements hebdomadaires du vendredi. A la question de savoir si le régime saoudien est contre-révolutionnaire, Pascal Ménoret répond que non, mais affirme que «Riyad a une politique étrangère guidée par la peur».

Quant à l’image d’Etat rentier, M. Ménoret souligne que «la rente ne mène pas à l’apathie ni à la dépolitisation, elle facilite la répression massive. Depuis 1973, pas moins d’un tiers du budget saoudien a été utilisé en dépenses sécuritaires et militaires. Si la rente facilite la répression, la répression entraîne à son tour des mobilisations».


Nadjia Bouaricha

Aucun commentaire: