Comment Houari Boumediene a volé et caché les dépouilles des martyrs Amirouche et El Haoues | DNA - Dernières nouvelles d'Algérie
Le président Houari Boumediene, décédé en 1978, avait ordonné en 1962 la séquestration dans le plus grand secret des dépouilles des colonelzs Amirouche et de son adjoint El Haoues, tués par l’armée française le 29 mars 1959. Il aura fallu l’arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid en 1979 pour que le secret soit découvert et que les deux sépultures soient exhumées des caves de la gendarmerie nationale pour être enterrées au cimetière d’Al Alia, à Alger. Histoire d'un « vol » unique dans l'histoire de l'Algérie contemporaine.
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Comment Houari Boumediene a volé et caché les dépouilles des martyrs Amirouche et El Haoues

L'histoire est restée secrète pendant 42 ans jusqu'à la parution en 2010 du livre de Said Sadi, « Amirouche, une vie, deux morts, un testament ». Dans cet ouvrage, Sadi exhume cette affaire en révélant comment le président Houari Boumediene, avec la complicité de divers responsables, avait ordonné la séquestration des restes des deux martyrs.
L’annonce de leur découverte, après des années d’investigations, a été faite par le président Chadli Bendjedid le 24 décembre 1983 lors d’un congrès du FLN.
Pendant des années, le fils d’Amirouche, Nordine Ait Hamouda, a remué ciel et terre et interrogé une kyrielle d’officiels pour tenter de retrouver les deux dépouilles cachées. Sa quête aura buté sur une véritable omerta.
Nouveau témoignage
Un nouveau témoignage a été publié par le quotidien Le Soir d’Algérie dans son édition du mercredi 7 décembre 2011. L’homme qui parle est un témoin clé : Chérif Mahdi (officier à la retraite et secrétaire général de l’état-major de l’ANP de 1963 à 1967).
Ses révélations apportent des éléments nouveaux susceptibles de relancer l’enquête sur cette incroyable affaire bien que les rares acteurs de l’époque, encore vivants, ne s’empressent guère de livrer les parcelles de vérité qu’ils détiennent sur ce dossier.
Le lourd secret de Jean-Louis Gallet
L’histoire commence le 7 décembre 1962. Cherif Zouaïmia, officier du CDF (Commandement des Frontières) se rend à Alger pour s’entretenir avec des responsables du ministère de la Défense.
L’homme a un lourd secret à dévoiler. Zouaïmia explique à ses interlocuteurs avoir été contacté par un officier français qui souhaitait monnayer un renseignement. Abdelkader Chabou, secrétaire générale du ministère de la Défense, et Houari Boumediène, ministre de la Défense, sont mis au parfum.

Chérif Mahdi et Abdelhamid Djouadi, aujourd'hui général à la retraite, sont alors chargés de rencontrer cet officier français, le capitaine Jean-Louis Gallet.
Celui-ci leur révèle comment Amirouche et El Haoues ont été abattus le 29 mars 1959 par l’armée française, à Bou Saâda. Surtout, il affirme connaître l’endroit exact où les deux corps ont été enterrés.
Troc
« Je suis le capitaine Jean-Louis Gallet, explique-t-il. Je connais l’endroit exact où sont enterrés Amirouche et El Haouès. Je vous l’indique, contre… l’autorisation de convoler avec ma fiancée de confession musulmane et je vous donnerai aussi le détail de l’opération qui a ciblé vos deux chefs de wilaya. J’y étais. »
Jean-Louis Gallet donne des indications précises sur la tombe commune et un plan :
« Vos deux colonels sont enterrés à 70 cm de profondeur, à l’intérieur de la caserne d’Aïn El Melh, située à une trentaine de kilomètres de la ville de Bou Saâda. Quand vous serez à l’intérieur de la caserne, vous mesurerez 73 mètres parallèlement au mur d’enceinte, à partir du mirador et 17 mètres à partir du pied du mât de levée des couleurs. Dans le corps du mât est sertie une croix d’agate, l’emblème de mon régiment. »
Boumediene et Chabou mis au parfum
Les deux émissaires rentrent à Alger pour faire le rapport à Boumediene et Chabou avant de leur remettre le plan. Ces derniers ordonnent à Chérif et Djouadi de se rendre à Bou Saâda pour vérifier les révélations de l’officier français.
Jeudi 13 décembre, les fouilles commencent. L’équipe se trompe une première fois en lisant le plan, puis reprend le travail d’exhumation.
Amirouche et El Haoues décapités
« Après une demi-heure d’effort, écrit Chérif Mahdi, à exactement 70 cm sous la surface du sol, quelque chose apparaît… deux corps ! Deux corps littéralement emmaillotés ensemble par une corde en alpha tressée. Nous les exhumons avec précaution pour ne pas désarticuler les squelettes. Des lambeaux de treillis collent encore aux ossements. Horrible détail, Amirouche et El Haouès ont été décapités et enterrés tête bêche. »
Les restes des deux suppliciés sont enveloppés dans des linceuls. Les deux militaires informent leur hiérarchie de leur découverte macabre. Deux heures plus tard, l’ordre arrive. Laconique. « Secret total. Remettez les corps à la gendarmerie de Bou Saâda. Ne rien dire aux gendarmes sur l’identité des morts. Rentrez sur Alger. »
C’est une affaire d’Etat
Marqués chacun d’un numéro d’identification, les corps sont déposés auprès de la brigade de gendarmerie de Bou Saâda. L’équipe rentre à Alger.
Dans le bureau du colonel Chabou, les ordres sont clairs. « Vous garderez le silence jusqu’à la tombe sur votre mission, dit-il. C’est une affaire d’Etat. Pas un mot à quiconque. Vous en répondrez sur vos vies ! »
Le colonel confie à Chérif Mahdi la mission d’enterrer les deux corps « dans le plus grand secret au cimetière d’El Alia ».
« La tombe d’Amirouche portera le n° 5487 et celle d’El Haouès le n° 5488 (54 pour le signe de Novembre. 8, pour la date de départ sur Annaba. Le 7 et le 8 pour différencier les deux chahids) », écrit le témoin dans le Soir d’Algérie. Peu de temps après, je suis envoyé en Amérique latine en stage. Mon compagnon Abdelhamid Djouadi à Moscou. »
Boumediene met l’index en travers de ses lèvres
Affecté en Amérique latine pour effectuer un stage, Chérif Mahdi est convoqué, avant son départ, par le ministre de la Défense, Houari Boumediene.
« Une fois dans son bureau, raconte-t-il, il me donne l’ordre de passer les consignes à Kasdi Merbah, désigné à la tête de la SM. Je salue militairement le président et je me retire. Je suis rappelé tout de suite après. Boumediene me fixe longuement et, sans dire un seul mot, met l’index en travers de ses lèvres. Je n’ai pas besoin d’un dessin. Je comprends de quoi il s’agit : « Le dossier» Amirouche ne fera pas partie des chemises à transmettre à Merbah ».
Les deux martyrs à la trappe
Le secret se referme sur les ossements des deux martyrs.
Vingt ans plus tard, Houari Boumediene mort emporté par la maladie, l’officier révèle enfin son lourd secret au colonel Tahar Zbiri, celui-là même qui avait fomenté en 1967 un coup d’Etat raté contre le président.
Deux autres personnes, héros de la révolution, Salah Boubnider et le colonel Ouamrane, sont également mis dans la confidence.
Chadli informé
Offusqués, les trois colonels décident d’informer le président Bendjedid, via le patron de la police, El Hadi Khediri.
Chadli convoque alors Kasdi Merbah pour évoquer l’affaire. Celui-ci dégage la responsabilité de son département et affirme ne pas être tenu au courant.
« Le président ordonne à Hadi Khédiri et à Mustapha Cheloufi, chef de la gendarmerie, d’ouvrir une enquête, raconte encore le témoin. La première chose à faire est de retrouver les cercueils, puis de vérifier qu’il s’agit bien des restes d’Amirouche et d’El Haouès. Les cercueils ne sont plus dans les tombeaux où je les ai personnellement enterrés. Il apparaîtra bientôt qu’ils ont été exhumés, peu avant le 19 juin (date du coup d’Etat de Boumediene contre Ben Bella, NDLR) et confiés «aux bons soins» d’Ahmed Bencherif. »
Les restes retrouvés dans les caves de la gendarmerie
Les recherches ordonnées par Chadli permettent de mettre la main sur les deux boites contenant les restes des deux martyrs. Elles étaient cachées pendant des années dans les caves du siège de la gendarmerie nationale.
Le 24 octobre 1984, les deux combattants sont réhabilités et enterrés lors d’une cérémonie officielle au carré des martyrs du cimetière d’Al Alia.
Dans cette grave forfaiture, trois personnages portent une responsabilité directe : Houari Boumediene, le colonel Abdelkader Chabou et Ahmed Bencherif.
Le premier est mort en décembre 1978. Le second est décédé dans un accident d’hélicoptère en 1971, le troisième est encore en vie.
Ahmed Bencherif se défausse sur Boumediene
De leurs vivants, les deux premiers ne sont jamais exprimés sur cette l’affaire pour la simple raison qu’elle n’a jamais existé. Quant à l’ancien patron de la gendarmerie nationale et ex-membre du Conseil de la Révolution, Ahmed Bencherif, il s’est défaussé sur son patron, Houari Boumediene.
Au mois d’octobre 1984, une semaine après la ré-inhumation des restes des deux martyrs, le fils d’Amirouche, Nordine Ait Hamouda, rencontre Ahmed Bencherif dans sa villa, à Alger.
Lorsque le fils interroge le colonel sur sa responsabilité dans cette affaire, Bencherif répond : « La décision a été prise par Boumediene et Chabou, alors secrétaire général de la Défense, a été chargé de m’en informer. »
Pourquoi Boumediene a-t-il séquestré les dépouilles ?
Pourquoi Boumediene a-t-il commis un tel sacrilège ? Anti-kabylisme primaire, volonté de priver la Kabylie, région frondeuse et rebelle au pouvoir central, d’une icône de la résistance contre le colonialisme, confiscation des symboles de la Révolution ou dérives criminelles de la part d’un homme brutal, autoritaire, dont les ambitions ne s’accommodent guère de la moindre opposition, fut-elle de la part des morts ?
Peut-être tout cela à la fois.
Vivant, Boumediene ne s’est jamais exprimé sur cette affaire, pas plus sur d’autres crimes qui lui sont imputés, notamment l’assassinat de Krim Belkacem, étranglé en Allemagne le 18 octobre 1970 et celui d’Ahmed Khider, liquidé le 4 janvier1967, en Espagne, deux opposants notoires au régime de Boumediene.
Ben Bella séquestré pendant 15 ans
Reste que l’exhumation puis la dissimulation des restes du colonel Amirouche et de son compagnon d’armes pendant 21 ans ressemblent, à bien des égards, à une autre séquestration dont s’est rendu coupable Boumediene : celle du premier président algérien, Ahmed Ben Bella.
Renversé par Boumediene le 19 juin 1965, Ben Bella a été emprisonné dans le plus grand secret, sans le moindre procès, pendant 15 ans avant d’être remis en liberté par le président Chadli en octobre 1980.
Lorsque Georges Gorce, ambassadeur de France à Alger (1963-1967) puis Jean de Broglie, représentant du général de Gaulle, demandent un jour à Boumediene où se trouvait son prisonnier, le président algérien pointe son pouce vers le sol et dit : « Ben Bella est à ma merci, sous mon talon. »
Dans une trappe. Comme les restes d’Amirouche et d’El Houes.
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