mercredi 29 janvier 2014

Yennayer à la Mairie de Paris : encore une humiliation pour les Imazighen

Yennayer à la Mairie de Paris : encore une humiliation pour les Imazighen

C’est une tradition qui dure depuis maintenant huit ans. Ce lundi 1er Yennayer 2964, correspondant au 13 janvier 2014, Bertrand Delanoë a invité les Berbères de Paris à célébrer Yennayer, le nouvel an amazigh, à l’Hôtel de ville de Paris.
Soulignons ici qu’aucune célébration de Yennayer n’est organisée officiellement par les États en place en Afrique du Nord, pays des Amazighs.
C’est donc louable au Maire de Paris que d’avoir institué cette tradition qui est synonyme d’une relative reconnaissance du fait berbère et de la communauté amazighe parisienne. Par ailleurs, plusieurs villes de banlieue parisienne mais aussi de province (Lyon, Toulouse…) ont, depuis, pris une initiative similaire.
Mais cette dernière édition (2964 ou 2014, c’est selon) restera d’une amertume sans précédent. Désabusés en sont revenus les plus avertis qui y ont assisté.
Ce sont Bertrand Delanoë, Maire de Paris, et Mohamed Saadi, Président fondateur du groupe BRTV, qui invitent conjointement et officiellement (!) à la célébration de Yennayer dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris.
Où sont les erreurs ?

La première

Nous ne sommes pas des oiseaux de mauvais augure et ne cherchons pas à empêcher la planète de tourner. Mais il ne faut pas nous tourner en bourriques.

Expliquons.

De gauche à droite : Bertrand Delanoë, Maire de Paris ; Anne Hidalgo, candidate à la Mairie de Paris et Hamou Bouakkaz, Maire-adjoint chargé de la démocratie locale et de la vie associative

La Mairie de Paris associe le Président fondateur d’un groupe privé (d’intérêt économique) à cet événement. Une première, une sorte de contrat public-privé ?
Généralement, dans ce genre de cérémonies et célébrations, les institutions ont pour habitude de faire appel aux représentants – notamment les élus – de la communauté à l’honneur ou à des associations particulièrement actives et utiles à cette communauté. Mais, dans le cas de Yennayer, le Maire de Paris fait l’impasse sur les représentants, voire les acteurs de la culture berbère et ses forces vives. Notamment les associations actives et visibles ainsi que les personnalités universitaires, culturelles et médiatiques de la communauté berbère de Paris impliquées dans la promotion effective de la langue et de la culture.
Jusque-là, nous pouvons encore fermer les yeux tout en nous réjouissant de l’événement, et…apprécier momentanément le champagne municipal. L’important demeure que la communauté amazighe soit mise à l’honneur et qu’un événement comme Yennayer soit célébré par une institution officielle… Le reste n’est, dirions-nous, que secondaire.

Défilé de mode à l’Hôtel de ville

Le second couac…

Avant que le champagne ne se réchauffe, vint le moment de ces causeries à sens unique que nous appelons “discours”. C’est ainsi que Bertrand Delanoë, dans une intervention quelque peu olé olé, s’adresse au public en ces termes : “nous avons bien travaillé avec le président et avec vos associations, chaque année on essaie de progresser.” Seulement, voilà : nous n’avons aucune visibilité de ce travail : aucun document, aucune explication n’ont été rendus publics à ce sujet. De quoi s’agit-il ?
Vint ensuite la causerie du “tout fraîchement désigné” comme “notre représentant”… divin et choisi, mais si peu regardant sur l’avancée réelle de tout un parcours culturel et politique tant en France qu’en pays d’origine du peuple amazigh et, surtout, sans n’avoir jamais pris de réelles positions publiques sur les questions concernant les Berbères et les problèmes qu’ils peuvent connaître.

Sans ambages, et en notre nom à tous, Monsieur le président de BRTV remercie d’emblée les ambassadeurs d’Algérie et du Mali ainsi que le représentant de l’ambassadeur du Maroc, bien que les États qu’ils représentent massacrent allégrement quotidiennement les Amazighs. Comme si ces personnalités, qui étaient par ailleurs absentes à la cérémonie, méritaient les honneurs et les remerciements des Amazighs !
Mais, la question que nous nous posons – elle est légitime – est de savoir si le Maire de Paris s’adressait à un président d’un groupe audiovisuel privé (en l’occurrence le groupe BRTV) ou au président d’une structure ou institution représentative de tous les Amazighs de Paris ou de France au sens large ?
Monsieur Delanoë ne peut ignorer que la représentation légitime d’une communauté, d’un peuple ou d’une nation est fondamentale. Car souvent les altérations ou les atteintes aux questions concernant ces derniers ainsi que leurs droits historiques proviennent à juste titre du fait que des voix non-représentatives s’expriment en leur nom.
Cette donnée est intangible, et nous le dirons jamais assez, la question amazighe est une question éminemment politique et ses implications souveraines sont à la fois sociétale, culturelle et linguistique !

Ce qui doit en être

Lors d’une cérémonie supposée dédiée à l’amazighité et son calendrier, il est difficile de ne pas avoir une pensée pour les Amazighs qui se battent en ce moment pour leur liberté et pour leurs droits fondamentaux. Nombreux sont parmi eux ceux qui sont brimés au quotidien et parfois instrumentalisés car en détresse. Plus que la souffrance quotidienne, de nos jours c’est à une coalition anti-amazighe qui font face les Berbères dans leur propre pays.
En ce nouvel an amazigh, comment ne pas avoir une pensée pour nos frères Touaregs, notamment ceux de l’Azawad, qui luttent depuis janvier 2012 contre plusieurs puissances alliées à l’État malien, pour en finir avec l’humiliation ? Et au lieu de cela, insulte suprême, nous avons eu droit à des remerciements à l’adresse de l’ambassadeur du Mali !
Comment ne pas avoir également une pensée pour nos frères Mozabites qui, au moment où Yennayer est célébré à l’Hôtel de ville de Paris, endurent agressions et barbarie de la part de groupuscules fanatisés qui les attaquent avec l’appui des forces de police de l’État algérien ? Au lieu de cela, nous avons eu droit à des remerciements à l’adresse de l’ambassadeur d’Algérie !
Il est difficile de ne pas avoir une pensée pour les habitants d’Imider, à Tamazgha occidentale (Maroc), qui se battent depuis août 2010 pour que leurs droits soient respectés et pour que cesse l’exploitation de leur terre qui enrichit des groupes d’intérêts pendant que les populations sont maintenues dans la misère. Au lieu de cela, nous avons eu droit à des remerciements à l’adresse du représentant de l’ambassadeur du Maroc !
Cette pensée pour les Amazighs qui se battent sur des fronts multiples, comme en Tunisie contre la négation de leur identité amazighe par la nouvelle constitution des Arabo-islamistes ou également en Libye où malgré les importantes réalisations des Amazighs, la partie est loin d’être gagnée face à un arabo-islamisme armé déterminé à s’y opposer, est peut-être “trop demander” aux organisateurs de ce Yennayer parisien  ? Ils se sont honteusement défilés.


Les Amazighs méritent-ils cette humiliation ?

Quelque part, naïvement peut-être, oui ! Sinon comment peuvent-ils se retrouver avec des “représentants” qui ont été choisis par une autre planète ?
Les pouvoirs en place en Afrique du Nord ne font pas mystère de leur hostilité envers Tamazight. A Paris, les représentants de ces États sont conviés à l’occasion de Yennayer. Pendant ce temps la police algérienne déverse sa haine sur les Mozabites à Ghardaïa et dans la vallée de Mzab.
Mais l’ambassadeur algérien est invité à la cérémonie de Yennayer pourtant dédiée à la communauté amazighe de Paris…
Et que vient donc faire l’ambassadeur du Mali à Yennayer ? Est-ce pour dire aux Touaregs de l’Azawad “d’oublier” leur projet d’indépendance et leur rappeler l’intégrité territoriale du Mali tel que définie par la France ?
A l’Hôtel de ville de Paris, le discours de Mohamed Saadi n’avait pas l’air de choquer. Il s’est, dirions-nous, bien dilué dans le bonheur général. En témoignent les youyous, les olé et les applaudissements. Mais est-ce une raison pour laisser passer un tel affront ? Est-ce une raison pour que ce genre d’attitude passe comme si rien ne fût ? Non ! Il s’agit là d’une faute lourde envers la militance amazighe qui fait front, au quotidien, aux relais arabo-islamistes.
Ces raisons font que nous disons non aux flonflons pervers !
Le discours que nous aimons est un discours souverain, libre, solidaire de tous les Amazighs, et sans concessions.
NON, la communauté amazighe de France doit se prendre en charge sans tuteurs et sans faux représentants ! Pour, au moins, ne pas risquer de se faire pointer du doigt comme passerelle clientéliste et “à vendre”.

Tamazgha,

Paris, le 27 janvier 2014.

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