mercredi 16 avril 2014

L’Algérie, entre fin du monde et renouveau

L’Algérie, entre fin du monde et renouveau

LE MONDE |  • Mis à jour le  |

L'écrivain algérien Boualem Sansal lors de la 62e Berlinale à Berlin, le 9 février 2012.

On me demande un avis sur la société algérienne sous l’éclairage de l’élection présidentielle en cours et ce qu’il faut penser des récentes manifestations de rue à travers le pays. La réponse est simple : il n’y a pas de société algérienne, pas de pays, pas davantage d’élection présidentielle et, pour finir, je dirais que lesdites manifestations n’existent pas. L’Algérie est une fiction vivante, tout est virtuel ici.

Les Algériens le savent et agissent en rapport : ils vivent entre eux, lafamille, le quartier, fermement agrippés au quotidien, et ne regardent pas ailleurs. Le quartier d’à-côté est un autre monde, mystérieux et stressant, la rue médiane est une frontière intangible. Trois pas dans la mauvaise direction et on change de tribu, de langue, de religion, de façon d’être. Expliquer sa présence peutprendre du temps.
Quand on sait cela, on sait tout sur l’Algérie et les Algériens. Le reste est de la propagande, des enfumages d’imams. Le discours « un pays, une nation, une langue, une religion, un président » ne prend plus. Les Algériens ont décroché de ces histoires, ils ont assez donné. Ils n’entendent même pas ce qui leur vient de ces mondes lointains qui furent pour eux des rêves éveillés, l’Europe et l’Amérique pour les uns, l’Iran et l’Afghanistan pour les autres. La vie, c’est chez soi au présent.
EXTINCTION DES DINOSAURES
Quand un pays se réduit à une rue et la vie à sa plus simple expression, la désintégration est proche, et, en effet, l’ancien monde est bel et bien en train de mourir. Les Algériens se tiennent à distance pour tout bien voir, la chose ne se produira qu’une fois. C’est fascinant, regarder mourir M. Bouteflika, c’est assister à l’extinction des dinosaures. C’était il y a soixante-cinq millions d’années, sous un ciel de feu. Tout doit disparaître, il n’y aura ni deuil ni tombe, il n’y a rien àretenir de ces mondes de violence et de cruauté. Manifester contre les dinosaures et leur dire « Assez ! Barakat ! » a-t-il du sens ? La nature avait trouvé la méthode, merveilleusement intelligente, elle les a éteints sans attendre leur avis.
Les Algériens vivent dans cette attente, une vraie fin du monde, totale, définitive, ils se disent qu’après, il sera temps d’aviser. Morte la bête, mort le venin, ils ne s’inquiètent pas trop, en véritables Méditerranéens ils n’envisagent l’avenir que dans le bonheur et le bonheur ne peut être que familial, dans la chaleur de son quartier. Il y a un signe qui ne trompe pas, qui annonce des temps nouveaux : la courbe des mariages et des naissances prend de la hauteur, c’est vertigineux, la fête bat son plein, les rues débordent. Il y a bien un processus de vie à l’œuvre, quelque chose a échappé à l’œuvre de mort et pousse ses racines dans toutes les directions.
Autre signe de renouveau, le crédit bancaire a explosé, l’argent du pétrolecoule à flots, impossible d’échapper à l’abondance, les chômeurs n’ont plus besoin de travailler, l’Algérien consomme comme un Américain et fait le bonheur de la Chine. Telle est la situation. Il semble que l’histoire soit arrivée à un carrefour et qu’elle ne puisse s’y maintenir plus longtemps. Mais bon, le 17 avril, c’est pour tout bientôt. A 20 heures, ce jour, nous saurons si le temps de l’homme est venu ou si le règne des dinosaures se fait une petite rallonge de quelques millions d’années.
Mais c’est de la théorie, dans ma ville, Boumerdès, personne ne sait ce que nous allons voter le 17, les gens sont trop occupés à dépenser l’argent qu’on leur donne.


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