vendredi 2 mai 2014

Autonomie, indépendance ou statu quo pour la Kabylie ? - rezki.net : actualité kabyle et amazighe

Autonomie, indépendance ou statu quo pour la Kabylie ?Autonomie, indépendance ou statu quo pour la Kabylie ?

vendredi 2 mai 2014par Nadia Mechiche
La question kabyle est de plus en plus posée en termes de statut. C’est l’occasion d’examiner les avantages et inconvénients de chacun d’eux.
Si on se pose la question du statut d’un territoire, c’est qu’il y a des problèmes. En Kabylie, les raisons sont nombreuse qui permettent de remettre en cause l’appartenance à l’Algérie.

L’Algérie

La dépersonnalisation La Kabylie possède sa langue, son organisation sociale et une approche de la religion différente de ses voisins. L’énorme majorité de la population parle le kabyledans la vie de tous les jours, alors que l’Etat impose un fonctionnement en arabe à travers ses institutions. Les Kabyles ont le sentiment d’avoir été dupés à l’indépendance de l’Algérie. Cette idée est une thématique récurrente de la chanson d’expression kabyle, on la retrouve aussi en littérature. La Kabylie a été avec les Aurès le principal terrain d’action de la guerre d’indépendance de l’Algérie. Bizarrement, l’exaltation du sentiment national s’est retourné contre la Kabylie. L’Algérie s’est définie comme un pays arabe et les Kabyles se sont retrouvés à devoir jouer la schizophrénie : être kabyles entre eux et arabes à l’extérieur. Dans cette optique, l’appartenance à l’Algérie ne peut conduire qu’à une aliénation. En Kabylie, la religion est une forme d’islam syncrétique, consensuel et tolérant. Cette vision a été mise à mal dans les années 80 lorsque l’Etat a mis en place l’islamisme pour contrer les démocrates dans les universités. Dans un second temps, le gouvernement a repris en main les prêtres en leur versant un salaire. Enfin, une multitude d’associations religieuses travaillent actuellement à construire de nouvelles mosquées pour en faire des lieux de militantisme intégriste.
Le grignotage territorial Durant la guerre d’indépendance, le FLN organise l’Algérie en wilayas, l’équivalent de départements. La Kabylie correspond alors à la Wilaya III. Depuis l’indépendance, l’Etat a entrepris une politique de grignotage en plaçant la périphérie du territoire kabyle sous l’autorité de villes arabophones, surtout dans les plaines. On a ainsi vu la création des départements de Sétif, de Bordj Bou Arréridj à l’est, Bouira au sud et Boumerdes à l’ouest. Objectif ? Encercler le territoire kabyle et le priver de sa périphérie placée sous la tutelle de territoires majoritairement arabophones. Cela casse immédiatement l’attractivité des villes historiques que sont Tizi Ouzou et Vgayet, vouées à attirer uniquement les ruraux environnants. Rapidement les wilayas créées sont devenues des foyers d’arabisation. Dans le même temps, l’Etat a fait venir des arabophones vers le centre de la Kaylie avec pour objectif cette fois d’arabiser Vgayet et Tizi Ouzou. Dans cette dernière ville, les arabophones sont surnommés les Zdimouhs.
Le conflit avec l’Etat La Kabylie s’est soulevée contre Alger en 1963, un an seuleemnt après l’indépendance. A l’époque le Front des forces socialistes naissant voulait empêcher la mise en place d’un gouvernement autoproclamé. D’autres conflits ont suivi. Les émeutes du Printemps berbère éclatent en 198 après l’interdiction d’une conférence de l’auteur Mouloud Mammeri. En 1994, tous les établissement scolaires de Kabylie font la grève du cartable pour dénoncer le durcissement de l’arabisation et demander l’officialisation de tamazight (le berbère). En 1998, l’assassinat du chanteur engagé MATOUB Lounès, commandité par l’Etat provoque encore un embrasement et plusieurs morts. Enfin les émeutes du Printemmps noir ont fait au moins 126 morts entre 2001 et 2002. En plus de ces soulèvement, l’Etat algérien a toujours pratiqué une politique d’assassinats ciblant l’élite kabyle.
Le boycott électoral Déjà très critique face aux élections, jugées truquées, la Kabylie boycotte systématiquement les urnes depuis le Printemps noir de 2001. Même les chiffres officiels font Etat d’une participation qui se situe entre un tiers et un quart des électeurs. La réalité est que seules les personnes qui dépendent de l’Etat votent, par obligation ou par intérêt, comme les fonctionnaires et les bénéficiaires de pensions. L’abstention massive est le signe d’un blocage politique vis à vis de la classe politique algérienne et d’une rupture avec l’Etat central.
L’impasse économique La quasi-totalité des revenus de l’Algérie proviennent de la rente pétrolière. Cette spécialisation à outrance est directement responsable de la stagnation économique et du chômage massif. En Kabylie, l’immigration est une pratique ancienne, les jeunes continuent de partir, avec ou sans visa. Un autre phénomène est l’immigration par mariage, entre un jeune resté au pays et un autre vivant en France. L’Algérie ne redistribue ses pétrodollars que pour acheter la paix sociale.

L’autonomie

Qu’est-ce que c’est ? On parle de territoire autonome lorsque celui-ci possède quelques pouvoirs tout en restant sous l’autorité de l’Etat. Si la Kabylie devait devenir autonome, cela signifie qu’elle aurait un Parlement pour voter des lois, une police spécifique, elle percevrait sa part d’impôts pour mener une politique de développement économique. Enfin, l’autonomie permet d’avoir une langue officielle chez soi en plus de celle de l’Etat central, cela voudrait dire qu’en Kabylie, le kabyle serait à égalité avec l’arabe. Par contre les Kabyles resteraient algériens, le dinar et le drapeau algériens seraient maintenus, ainsi que l’hymne Qassaman.
Le principal problème de l’autonomie est qu’elle ne règle pas tous les contentieux. Imaginons que les Kabyles veuillent mettre en place une séparation entre le politique et le religieux, ils ne le pourraient pas, on continuerait à assister à une ingérence des associations islamiques dans les villages et les quartiers. L’Algérie aura toujours l’ascendant à travers son armée, ses symboles et la définition de son identité pour tous.

L’indépendance

Les compétences régaliennes : Contrairement à un territoire autonome, un Etat indépendant possède tous les pouvoirs, y compris ceux qu’on appelle régaliens, c’est à dire son drapeau, sa monnaie et ses valeurs. Dans ces conditions, un Etat kabyle est entièrement souverain, il peut choisir sa politique étrangère et son modèle de société.
Une dynamique berbère : En Afrique du Nord, cette éventualité est encore taboue, l’existence d’un Etat berbère serait une révolution, elle créerait une dynamique chez les autres Berbères, dans le Rif (actuellement marocain), dans l’Azawad (actuellement malien) dans le Nefusa (actuellement libyen). La création de nouveaux pays sera l’occasion d’une nouvelle forme d’intégration entre Berbère ou avec les Etats existants s’ils reconnaissent les nouveaux venus d’égal à égal.
Nous ne parlerons pas ici de la question des richesses naturelles. Peut-on fonder un projet d’indépendance sur ce point ? Le sous-sol de l’Algérie est riche en hydrocarbures sans que cela profite réellement à ses habitants.

Trois pièges à éviter

Au point où nous en sommes, vous aurez compris que je suis indépendantiste, mais je suis réaliste et je sais que la majorité des Kabyles ne partagent pas mes idées, en tout cas pas encore. Pour moi trois pièges sont à éviter.
Un Etat ne sauvera pas la langue kabyle à coup sûr : On donne toujours comme exemple la politique linguistique d’Israël. Ce pays a réussi à sauver l’hébreu en le modernisant. Il existe des exemples d’échec. Un siècle après son indépendance l’Irlande parle aujourd’hui anglais, la langue irlandaise ne subsiste que dans quelques régions reculées et pourtant les gouvernements qui se sont succédés à Dublin font beaucoup d’efforts. Un autre exemple à méditer est celui de la Norvège, qui a été tellement imprégnée par la langue de ses anciens dirigeants qu’elle possède deux langues officielles : l’une qui est issue du langage rural et qui n’a pas d’emprunts et un autre qui est un mélange de norvégien et de danois. La survie de la langue kabyle ne repose pas uniquement sur un Etat, elle dépend aussi de l’usage de ses locuteurs. Une langue vit par ceux qui la parlent, plus ils la pratiquent et se l’approprient plus elle a de vitalité.
La minorité arabophone : L’Etat algérien a mené une véritable politique coloniale en créant des poches d’arabophonie en Kabylie. La crise qui a éclaté en Ukraine fin 2013 montre à quel point une minorité peut mettre en difficulté un jeune Etat. On peut être sûr que l’Algérie protégera ceux qu’elle a installés et qu’elle fera pression sur la communauté internationale pour revendiquer leur langue, leurs intérêts et mettre des bâtons dans les roues de la Kabylie. C’est aux Kabyles d’être intelligents et de savoir reconnaître l’existence de ceux qui vivent chez eux, pour en faire des alliés et pas des ennemis.
L’indépendance n’est pas synonyme de démocratie : L’Algérie a lutté pour obtenir son indépendance et elle a fini par tomber entre les mains d’un clan. La Kabylie peut subir le même sort. La démocratie n’est pas inscrite dans les gênes et ne tombe pas du ciel. Pour qu’un mouvement de libération ne devienne pas un parti unique, il faut s’interroger sur chaque organisation qui demande l’adhésion militante : Est-ce qu’elle consulte la population ? Est-ce qu’elle dialogue avec ceux qui ne sont pas d’accord avec elles ? La colonisation et le comportement de l’Etat algérien ont fait beaucoup de dégâts dans la société kabyle, alors si les indépendantistes doivent agir, qu’ils dialoguent entre eux et avec la société civile, quitte à perdre un peu de temps avant, on sauvera des vies et de l’énergie par la suite. Les pays qui réussissent sont souvent ceux qui choisissent le consensus et évitent les révolution sanglantes et bâclées.

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