vendredi 25 juillet 2014

Que reste-t-il de Tilelli vingt ans après le procès de 1994 ?

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Il y a vingt ans, le 1er mai 1994, la police marocaine avait procédé à l’arrestation de sept militants de la cause amazighe à Imtghren (Errachidia) au Sud-Est de Tamazgha occidentale. Il s’agit de Ali Harcherras, Taous M’bark, Ali Ikken, Omar Derouich, Ahmed Kikich, Ali Ouchna et Saïd Jaâfar.
Un défi
Ces militants n’étaient autres que des membres du bureau et des sympathisants de l’association Tilelli basée à Tizi n Imnayen (60 km au sud d’Imtghren).
Le “crime” de ces militants était leur participation au défilé du 1er mai 1994 au cours duquel ils avaient arboré des banderoles transcrites en caractères tifinagh et avaient scandé des slogans en faveur de la langue et de la culture amazighes et contre leur exclusion. Ils ont revendiqué un statut de langue officielle pour la langue amazighe. Ils ont également diffusé le mémorandum adressé par les associations amazighes au premier ministre marocain en mars 1994. Le mémorandum en question porte, rappelons-le, sur les droits linguistiques et culturels amazighs tels qu’ils sont énoncés dans la Charte d’Agadir.
Bandrole Tilelli
Bandrole Tilelli
Les sept militants, traduits le 7 mai 1994 devant le tribunal d’Imtghren, étaient poursuivis pour “agitation et atteinte à l’ordre public, profération de slogans en contradiction avec la constitution et incitation à commettre des actes contre la sécurité intérieure de l’Etat”.
Quatre militants seront acquittés le 27 mai. Deux seront condamnés à deux ans de prison ferme. Un autre à une peine d’un an de prison ferme assortie d’une amende de 10 000 dirhams (environ 1000 euros).
Grâce à la mobilisation internationale sans précédent suscitée par ces détentions arbitraires, les détenus seront libérés et reconnus comme détenus politiques.
Un événement important, mais occulté
Ce procès, unique en son genre dans les annales de la bataille menée contre les militants amazighs à Tamazgha occidentale, était et reste l’un des procès politiques qui ont marqué le siècle dernier. Il constitue un tournant décisif dans la revendication amazighe. Un événement emblématique. Trois mois après ces arrestations, Hassan II, a “promis” dans un discours (août 1994) l’enseignement des “dialectes” berbères. C’était bien entendu pour calmer la situation et éviter que le mouvement prenne de l’ampleur.
Le procès de Tilelli est une preuve de la volonté des autorités marocaines d’étouffer les revendications amazighes qui prenaient de l’ampleur. Deux années successives avant les fameuses arrestations de 1994, des militants amazighs avaient brandi des banderoles revendiquant l’enseignement de Tamazight et sa reconnaissance officielle lors des fêtes du 1er mai à Imtghren, sans jamais être inquiétés.
Cette volonté d’étouffement de toute revendication amazighe est d’ailleurs toujours vivace. L’Ircam (Institut royal de la culture amazighe), pilier de la nouvelle politique berbère de la monarchie en est une preuve.
1ermai04
Que reste-t-il de Tilelli ?
Malgré son importance, le procès de Tilelli a été occulté dans l’histoire du Mouvement amazigh alors que des événements de moindre importance sont célébrés avec fracas chaque année. C’est un épisode que certains espèrent faire oublier. Il paraît qu’ils ont réussi leur pari. Aucune association ne commémore cet événement, plusieurs par crainte d’être taxées de “radicales” ou d’”extrémistes”, des qualificatifs longtemps attribués à l’Association Tilelli et aux militants amazighs de la région. Certaines structures associatives et des pseudo-intellectuels évitent d’en parler pour s’attirer les faveurs de la monarchie et bien sûr de l’Ircam qui leur verse de généreuses subventions.
Vingt ans après ce procès, Tilelli, cible de plusieurs actes visant son anéantissement, demeure une association de référence dans le paysage amazigh même si son action connaît un certain “déclin” au cours des dernières années.
Nous avons rencontré certains des principaux acteurs de cette association et nous leur avons posé à tous presque les mêmes questions. Leurs réponses sont claires et leurs constats sont lucides. Si Derouich Omar, l’un des ex-détenus, craint “l’extinction” de Tilelli qui traverse selon lui des moments difficiles, son ex-président Ali Harcherras affirme que toutes les associations amazighes, dont Tilelli, “doivent adapter leurs objectifs et leurs stratégies aux nouvelles donnes” qu’impose la situation actuelle. “L’association Tilelli, c’est des idées, des valeurs et des personnes qui diffusent ces idées et ces valeurs”, nous a affirmé Ali.
Encore du chemin à faire
Nous avons contacté plusieurs acteurs du Mouvement amazigh directement liés à l’affaire Tilelli. Certains ont répondu volontiers à nos questions, nous les remercions. D’autres n’ont pas donné suite à nos sollicitations d’interview. Ce dossier leur reste toutefois ouvert en cas de changement d’avis. En travaillant sur ce dossier, je me suis rendu compte que beaucoup de choses restent encore non dites sur ce procès et les circonstances des arrestations, même vingt ans après. Nous espérons que le voile sera entièrement levé sur ce procès, et que les ex-détenus brisent leur silence pour de bon. Il était temps.
A. AZERGUI

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