vendredi 7 novembre 2014

« La désobéissance civile » constitue la « seule alternative pour la Kabylie » | Tamurt.info



Contribution de Masin Ferkal, président Tamazgha, à la Conférence nationale kabyle
La contribution de Masin Ferkal a salué l’initiative de rassembler des Kabyles, au-delà de leurs différences. Il a affirmé qu’il était désormais du devoir des kabyles d’initier et de réaliser un projet de rassemblement de toutes les forces vives de la société kabyle dans la mesure où la "destruction-déstructuration" de la Kabylie a atteint son paroxysme. Le président de Tamazgha a estimé que « puisque nous avons fait le choix d'un combat pacifique », « La désobéissance civile » constitue la « seule alternative pour la Kabylie ».
06/11/2014 - 17:00 mis a jour le 05/11/2014 - 21:29 parMasin Ferkal

CONFERENCE NATIONALE KABYLE 
At Waâbane, vendredi 31 octobre 2014.
Timeddukkal, 
Imeddukal, 
Azul,
Ulamma ur zmireγ ara ad iliγ yidkunt/yidwen di temlilit 
agi, dacu εerḍeγ ad iliγ s yizen agi-inu. Sarameγ timlilit agi a d-teffeγ s awyen ara d-yawin ayen ilhan i tmurt n Leqbayel ; ayen s wacu amennuγ-nneγ i tlelli n tmurt n Leqbayel ad yaẓ ar zdat. 
Nekk, akken ttwaliγ tilufa, ass-agi ur d-yeg°ri ara kra n uṛaǧu, ḥala ma yella nebγa an-neṭṭalay di tmurt-nneγ tetteddu ar uẓekka i s-γzen wid yebγan aγ-snegren ; aẓekka s-iγez udabu azzayri.
Ass-agi, ilaq a d-iban dacu nebγa. Nebγa an-nili, naγ ur neγbi wara ?! Dacu waqila timlilit-agi, ma tella-d d akken nebγa a nili.
Ihi yiwen webrid kan i γ-d-yeg°ran : d abrid n umennuγ γef tlelli-nneγ, γef timunent n tmurt-nneγ. Amennuγ i wakken an-nekkes azaglu γ-yerra udabu azzayri s tiεuṛbebt d tineslemt.
Acengu ywala dacu ixeddem. Nek°ni, ilaq ad nissin dacu ara nexdem. Iqqim-aγ-d kan ihi ad tt-nefru yides : d netta naγ d nek°ni. Ass-a ilaq-aγ an-ncemmeṛ i yγallen i wakken an-neqdec γef tmurt-nneγ, i wakken ad tt-id-nesban t-atmurt ger tmura nniḍen. Nek°ni ad-nban ger yegduden n umaḍal, s udabu-nneγ, s tutlayt-nneγ, s umezruy-nneγ...
Cher(e)s ami(e)s,
Etant attaché à la Kabylie, m’inscrivant dans le combat pour sa libération, et ne pouvant, malheureusement, pas être parmi vous, je tiens à vous adresser ce message et à apporter une contribution écrite à vos travaux qui, je l’espère, sortiront avec des conclusions à même de donner un nouvel élan au combat kabyle.
L’initiative de rassembler des Kabyles, au-delà de leurs différences, est à saluer et nous ne pouvons que nous en réjouir. Si le projet d’unir les Kabyles s’avère une entreprise difficile, tenter de les rassembler pour discuter et réfléchir ensemble sur le destin de la Kabylie est une intention louable, elle est à notre portée. Ça serait même un devoir pour nous d’initier et de réaliser un projet de rassemblement de toutes les forces vives de la société kabyle dans la mesure où la "destructiondéstructuration" de la Kabylie a atteint son paroxysme.
Dans ces conditions, notre inertie relèverait alors, au mieux de l’irresponsabilité, au pire de la complicité passive. Nous n’avons pas le droit de léguer à nos enfants les conséquences d’un lourd et vieux contentieux qui noue notre pays, la Kabylie, et notre peuple au régime algérien… Eviter à la Kabylie de s’enfoncer dans le gouffre dans lequel l’Etat algérien veut la précipiter est une urgente nécessité.
Les intérêts et l’avenir de la Kabylie sont l’affaire de toutes et de tous, quelles que soient nos tendances et nos sensibilités. La seule condition est que la Kabylie soit placée au centre de nos 
intérêts. Au vu de la situation largement dégradée de la Kabylie, il est éminemment urgent que notre élite ainsi que l’ensemble des acteurs de la société civile – qu’ils se trouvent en terre kabyle ou ailleurs – prennent conscience de la nécessité de conjuguer leurs efforts et d’initier des actions collectives afin d’amorcer une nouvelle dynamique à même de mettre notre Kabylie sur la voie de sa libération. La diversité est une richesse. Nous devons en faire une force sur laquelle nous devons nous appuyer pour optimiser les chances de faire aboutir notre combat. Si nous avions l’intelligence de nous placer au-dessus de nos différences et de définir ce qui doit constituer le socle commun de notre lutte et acter les intérêts suprêmes de la Kabylie ; à partir de ce prérequis rien ne saura empêcher notre combat d’emprunter la voie de l’aboutissement. Si nos approches stratégiques peuvent différer, nos sensibilités et notre volonté de libérer la Kabylie sont à l’unisson. Cette étape en cours doit nous permettre de définir cet "essentiel" qui devra animer notre action pour la libération de la Kabylie. Admettez, cher(e)s ami(e)s, que l’Etat algérien, dans ses fondements comme dans ses pratiques, n’est autre qu’un système colonial. Il est lui-même issu d’un autre système colonial – le colonialisme français – qui le protège et le soutient honteusement. Ce système colonial est assis sur les cendres et les décombres de valeureux militants kabyles, assassinés pour le seul tort d’avoir refusé de vendre leur âme kabyle aux chiens. Permettez-moi de leur rendre hommage : il s’agit de Benaï Ouali, Amar Aït Hamouda, Mbarek At Menguellet et nombre d’autres anonymes.
Le constat que nous pouvons faire vous le connaissez toutes et tous : le déni identitaire et culturel, le maintien de la Kabylie dans la misère par le refus permanent d’une relance économique via un refus subtile de construire des infrastructures d’où un taux de chômage élevé, la sponsorisation de "l’islamisme", l’arabisation des moeurs et des esprits via l’école et la télévision, la stigmatisation (l’affaire de l’assassinat du joueur de foot et celle de l’assassinat du touriste français), la provocation (assassinat de Lounes Matoub),… enfin l’assassinat de masse (2001). Il est indéniable que l’Etat algérien, depuis 1962, pratique – et cela est visible – une politique de néo-apartheid en Kabylie. Il fait de même partout où l’Amazighité résiste et il ne ménage pas ses efforts pour accélérer le processus de "destruction-déstructuration" de la Kabylie. L’anéantissement recherché n’est, aujourd’hui, un secret pour personne. Seuls les relais du système oligarchique, gérontologique et ethnocidaire viendront soutenir le contraire. Ils sont dans leur rôle, mais la Kabylie a appris à connaître ses ennemis.
Cher(e)s ami(e)s,
Nous sommes devant le fait accompli, face au mur et on ne cesse de se débattre. Permettez-moi, là, de faire appel au "chat" de Kateb Yacine (dans Le Polygone étoilé) :
Dans le monde d’un chat 
Il n’y a pas de ligne droite 
Observez un chat 
Poursuivi entre quatre murs 
Par le chien du propriétaire 
Et dites-moi 
S’il existe pour le chat 
La moindre ligne droite
La Kabylie fait face à un des régimes les plus sanguinaires du monde. Elle n’est jamais sortie indemne d’un face-à-face avec ce régime : toujours écorchée et ensanglantée (1963, 1980, 1988, 1998, 2001…). Dès lors, la première question qui vient à l’esprit de chacune et de chacun d’entre nous c’est celle de savoir s’il reste encore une possibilité de croire encore en cette Algérie.
Est-ce que le destin du peuple kabyle peut-il s’accomplir dans cette Algérie ? La réponse est NON ! Peut-il y avoir alors d’autres voies en dehors de l’incontournable lutte de libération nationale ? Oui, une lutte pour la libération de la Kabylie. Sa libération du colonialisme qui la désagrège est une nécessité. Cinquante ans d’humiliations accablantes et de répressions régulières ont marqué une politique anti-kabyle suffisante pour que nous puissions tirer nos conclusions. Plus aucun avenir n’est à envisager avec un Etat-colonial qui a comme projet principal la dépossession du kabyle de sa culture, de son identité, de sa Terre et de son âme.
Cher(e)s ami(e)s, 
Ne devrions-nous pas revoir nos moyens de lutte ? Depuis les années 1949 nous n’avons jamais cessé de contester et de revendiquer, mais hélas c’est devenu une méthode obsolète. Et si nous nous accordons à dire que le régime algérien est illégitime, à plus d’un titre, est-il normal de l’accepter ? 
Un pouvoir colonial, illégitime, voyou, corrompu, inique, et j’en passe.... Peut-on alors continuer à le cautionner ou à le subir et subir ses injustices ? Non, notre devoir est alors avant tout de refuser les lois de l’Etat algérien et le combattre sans relâche. Refuser d’être complices de cet innommable pouvoir est un impératif. Et si nous ne réagissons pas énergiquement, nous aurons alimenté l’hydre par notre coopération car nous n’aurions pas remis en cause sa légitimité. Et nous aurons mérité tout ce qui pourra nous arriver. Ne le méritons-nous pas d’ailleurs aujourd’hui puisque beaucoup d’entre-nous sont résignés ou découragés.
C’est ensemble que nous pouvons trouver les voies et les méthodes pour mettre en oeuvre notre action de libération nationale. Et si nous sommes déterminés à nous débarrasser du colonialisme, à reconquérir notre liberté et notre dignité et nous débarrasser de ceux qui nous humilient au quotidien et qui nous réduisent à l’état de mendiants, avec la complicité de nos "bachagha" et autres relais du système, alors tout deviendra possible.
La désobéissance civile, comme seule alternative pour la Kabylie.
En Kabylie, aujourd’hui, si nous voulons engager une lutte de libération nationale, on devra l’initier de façon correctement structurée en un mouvement de désobéissance civile. Un mouvement de désobéissance civile, car nous avons fait le choix d’un combat pacifique. Si nous assumons aujourd’hui notre rejet des lois algériennes qui sont le symbole de notre négation, et si nous refusons de nous soumettre à un pouvoir que nous considérons inique, nous sommes – que nous le voulions ou pas – dans une logique de désobéissance civile. Reste à lui donner forme et sens et l’organiser de manière à être efficient pour qu’elle aboutisse à la libération
L’Etat algérien pourrait-il exister en Kabylie et y asseoir sa dictature sans la coopération de la population kabyle ? Non ! Il faudra donc que la population refuse d’obéir à cet Etat qui l’humilie. Et quelle que soit la barbarie de l’Etat, la détermination du peuple devra conduire à son effondrement. Et la Kabylie s’affirmera en tant que telle, en dehors du joug du régime actuel. Une prise de conscience assez large à même de gagner l’adhésion populaire à ce projet est donc nécessaire : elle est d’utilité publique. Cela sera possible avec le courage et la détermination de militants aguerris (l’exemple d’Iberbacen doit alimenter notre réflexion). Il est temps que notre élite, la militance et l’ensemble des acteurs soucieux de l’avenir de la Kabylie se mobilisent pour réfléchir à la meilleure façon de lancer cette désobéissance civile qui mettra fin à l’existence de l’Etat algérien en Kabylie. Et c’est là que la Kabylie pourra retrouver sa souveraineté et sa dignité. Les temps ont changé, le peuple kabyle ne peut rester indéfiniment dans le témoignage sur Berwageyya ou sur la prise de l’université de Tizi-Ouzou en 1980. Le peuple Kabyle attend des solutions concrètes. L’élite politique à ancrage sociologique kabyle a péché par ignorance, arrogance ou par le poids de l’Algérie "indépendante" jusqu’à s’oublier, à s’empêtrer dans ses contradictions. Elle doit assumer seule son échec, et cet échec ne signifie aucunement l’échec du peuple Kabyle.
Ce combat pour la dignité ne saura évidement s’accomplir sans l’émergence d’une conscience nationale kabyle. Une conscience kabyle bien sûr loin des nationalismes revanchards et meurtriers, car l’histoire du siècle dernier en regorge d’exemples tant en Afrique du Nord qu’en Europe. Nous sommes sommés de ne pas reproduire les schémas et les erreurs qui nous ont emmenés jusque-là. En ce sens, le boycott scolaire de 1994-1995 ou le Printemps Noir de 2001 ne sont-ils pas des prémices d’une désobéissance civile qui n’avait pas dit son nom ? Et si les mouvements de l’époque avaient inscrit leurs actions dans un cadre d’une désobéissance civile ?
Cher(e)s ami(e)s,
Il est temps que se cristallise ce regroupement des valeurs authentiquement révolutionnaires kabyles. Son rôle sera d’insuffler puis d’animer ce mouvement de désobéissance civile, première étape de la lutte de libération nationale. La défense des intérêts du peuple kabyle doit être l’objectif fonctionnel premier de ce regroupement. Car l’avenir du peuple kabyle ne devra plus se conjuguer au passé, l’idée d’un rejet total du système algérien pourrait être le fer de lance de notre longue marche pour notre liberté, pour notre dignité et pour la souveraineté de la Kabylie.
Vive le peuple Kabyle ! 
Vive la Kabylie libre !
Masin FERKAL, 
Enseignant, 
Militant berbériste, 
Président de Tamazgha (Paris). 
Paris, le 30 octobre 2014.

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