jeudi 7 mai 2015

Rezki Rabia, le verbe kabyle.

REZKI RABIA, LE VERBE KABYLE.

07/05/2015 - 23:41


DIASPORA (SIWEL) —" "Le parfum de la terre", le recueil de Rezki Rabia titré génériquement "Tafenda n wakal", se capture la fraîcheur continue d’une inspiration solennelle à chaque tournement de page que l’ont peut aisément adopter à caresses nues. Un ouvrage de 73 pages non disjoint de la commune mémoire de la langue kabyle et de son devenir, où le poète prend sien l’art d’envisager de nouveaux types de relations avec la poésie kabyle sans le souci de perplexité dans le savoir l’écrire et aussi dans le savoir la lire dans un filet d’encre et dans un filet de voix." Par Djaffar Benmesbah


Rezki Rabia, le verbe kabyle.
Rapsode au bâton de marcheur enjoué et enjôlant, capteur esthète de traces de vies débusquées des recoins les plus secrets des consciences, Rezki Rabia est de ces voix singulièrement saisissantes qui astiquent les limites de l’expression tantôt les repoussant tantôt les enjambant comme un innommé cri ratifiant les certitudes. Voici donc un poète dont les vers crèvent l’écran des toiles tels des signaux lumineux dans l’aplat blanc où se déroule la quasi-dissolution de l’inaudible et du simulé. Révélé sans le concours du grand renfort publicitaire ou d’une quelconque générosité journalistique, il s’est imposé dans le domaine des lettres à la manière d’un superbe média qui pousse les oreilles à l’inlassable traque de ses mots. 

Cet enfant de la crête rouge, petit village perché au socle du Djurdjura qui le nourrit toujours de sa puissance et de son souffle, s’est donné très tôt au labyrinthe des questions formatrices errant d’une lecture à une autre dans les ombres séduisantes des poètes anciens. À seize ans commençait pour lui l’enthousiasme de faire rejaillir son intérieur dans une saccade d’émotions qui le projetait au-devant de lui-même ; ainsi débutait l’aventure poétique qui fait de lui aujourd’hui un repère cohérent et consistant, charmant ses contemporains et voué à devenir une école kabyle pour les générations futures. 

Kabyle à l’entrain indomptable et à l’énergie sereinement animée, refusant de s’enclore dans le strict établi ou toléré par la bêtise de la pensée unique régissant l’école de sa jeunesse dans une Algérie qui fuyait obstinément l’universalité, il s’ouvrait à une constante mutation intellectuelle à travers les inquiétudes, les impatiences et les espérances des autres auteurs interdits. Comme il a traduit M. Ferraoun, T. Djaout, S. Mekbel, M. Mammeri, il a su enrichir la poésie kabyle par la force de son insurrection des noms de A. Rimbaud, C. Baudelaire, R. Desnos, J. Prévert, L. Ferré, G. Lorca, P. Niruda, N. Hikmet, F. Nedjm, G. Apollinaire, J. Goethe , J.L.Moreau… pour ne citer que ceux-là. 

Tout comme ses pairs, Rezki Rabia a été promis à son calice d’exil sans pourtant aller au-delà du reniement de ce qu’il pouvait penser ou saisir des insatisfactions et des contradictions de l’éloignement. D’abord un séjour en Belgique entre 1979 et 1981, puis un retour à la terre natale dans une tentative de réconciliation avec les pages écrites sous l’oppression. L’étouffement est pesant, il adhère volontiers aux plates-formes de revendications dans les universités avec ses espoirs et ses colères. En 1985, il s’installe dans Paris. La chance lui sourit coté sentimental, il rencontre Nadia, une franco-kabyle qui deviendra sa muse et dont la générosité se divulgue dans le soutien et l’assistance aux malentendants. Dans l’amour, il trouve refuge et dans la poésie, une force capable de le dégager des contraintes formelles de l’exil et de bousculer la navrante déperdition d’efficacité critique d’une diaspora face aux événements qui secouaient sans cesse sa Kabylie qu’il place désormais au centre de la réflexion cruciale. 

Dans son recueil se traduisent distinctement le réel et idéal, les ruptures et les attaches dans une avancée de recherches où la langue se bat pour sortir l’opprimé de l’inconnu avec la ferme volonté de ne jamais se délaisser de ses principes. 

Avec Nadia, il entame une expérience théâtrale qui lui fera connaitre les planches aux cotés de N. Belaid dans une pièce de S. Chertouk " Dda Moqrande" qu’il traduit lui-même du français et mise en scène par M. Touta. Dans la lancée, il s’essaie à la création par l’écriture d’une pièce "Tid n tlawin", (Ruses de femmes). Nous le trouverons poétisant à voix haute dans "Écrivain Public" avec N.Moualek et Y.Dirami. Aujourd’hui, il continue l’expérience avec la troupe "La Compagnie Dassyne" 

Rran aεdil d aberkan 
Ɣef tefsut mm ijeǧǧigen 
Ẓẓan deg ul asennan 
Nɣan-ten d imejṭuḥen 
Imeṭṭi yuzzel am aman 
N lxalat yettmeǧiden 

Mi nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-neɣ yettcerrig 

Atah ufus-iw d ilem 
D idmaren-iw i awen-fkiɣ 
Aldun deg-i igezzem 
Mi ɣliɣ d akal i yeččiɣ 
I tmurt qqleɣ d asirem 
Am teslent deg-s ad d-mɣiɣ 

Mi nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-neɣ yettcerrig 

Ssemman-as madden tafsut 
Ɣur-neɣ teḍla tibuxxin 
Qqaren-aɣ telha tatut 
Asuref yella di ddin 
Nekkni i jerben lmut 
Ɣer tmeqbar i aɣ-ttawin 

Mi nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-neɣ yettcerrig 

Yezza tagersa deg ul 
Igzem-aɣ am tqeṭṭiḍin 
Anza-nneɣ deg-s yeggul 
Ad tent-yečč d tisemmamin 
Kečč yettbabban aɣyul 
Ad ak-nerr ansi ik-id-wwin 

Mi nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig 

Tamurt-iw terfed tadist 
Nezga nettεassa fell-as 
Atan tebda tettinit 
Ilul-d wayen nettalas 
Ad awen-nesseww qeḍran 
d lḥentit Kunwi ileqqmen tikerkas 

Mi nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig 

Qqaren-aɣ medden acuɣer 
Ass-a tugim ad ttettum 
Nekkni yeṛwan ademmer 
D idammen-nneɣ i yettsummun 
Nutni i d-yeglan s lεeskker 
Ssaramen ad aɣ-kfun 

Mi d nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig 

Mmelt-iyi amek ad asen-nini 
I yimejṭaḥ i d-ittlalen 
Ma yella nettu ass-nni 
Ideg i d-bran i yiḍan 
Tram ad aγ-tqucem d tirni 
Am umγar am luffan 

Mi nruḥ ad nemmager tafsut 
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig 
I aɣ-d-immugren d lmut 
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig 

Ass-a fkiγ-ak-t d asefru 
Azekka ad ak-yuγal d ajjenwi 
Deg wul-ik ara yentu 
D tameddurt-ik ara yawi 
Tallest-ik ad as-nebru 
Aɣebbar-ik at nezwi 

Vous avez drapé de noir / Le printemps aux mille couleurs / Vous avez semé le désespoir / Tant d’enfants que vous avez assassinés / Nos larmes sont votre victoire / Les cris de nos mères accroissent vos satisfactions. Nous voulions accueillir le printemps / Une fleur dans chaque main / Mais la mort était au tournant / Tant de balles nous déchirent / Je suis venu les mains nues / La poitrine offerte / Vous avez tiré sans retenue / Vous avez causé ma perte / Tombé, je prépare ma mue / Je pousse tel un peuplier, la feuille verte. 

…/… Maintenant que ma terre est fécondée / Nous serons ses gardiens et ses remparts / Elle est sur le point d'accoucher / D'une révolte qui fera votre cauchemar / À l’amertume, à la douleur, vous gouterez / Vous les médiocres, vous les ignares 

…/… Ce poème n'est point un cri d'amour / Demain, il sera mon arme / Tu connaîtras la mort à ton tour / Tu goûteras le sel des larmes / À ton obscurité succédera le jour / Sur nos terres régnera le calme 

Nietzsche disait : « Les poètes, étant donné qu’eux aussi veulent alléger la vie à l’homme, détournent leur regard du présent pénible ou aident le présent à prendre, par une lueur qu’ils font briller du passé, des couleurs nouvelles. Pour y réussir, il leur faut être eux-mêmes à beaucoup d’égards des êtres tournés en arrière : en sorte qu’ils peuvent servir de pont, pour mener à des époques et à des idées très lointaines, à des religions et à des civilisations mourantes ou mortes. » Vers le printemps noir, Rezki Rabia se fixe le devoir de se retourner pour mieux travailler sa mémoire et tendre vers la clarté tout en restant solidaire avec la réalité. Une poésie concrète et radicale qu’il a de ses brisures, il heurte le silence avec ses plaintes et ses éloges soutenus de la langue de la valeur et du sentiment. Sa brise est assidûment en alerte quand les désespérés déclarent les lendemains fichus, sa glèbe obéissante aux libertés se défriche à chaque fois loin du repos et les richesses à profil bas. Fol amoureux des mots, ses élans séducteurs font éclater l’endurance des bourreaux. Sa nature porte en elle la confiance nostalgique qui arme les sourires et les décompose en écriture. "Tafenda n wakal", des mots, des instants où la trajectoire de sa trame nous traverse de quelques doux émerveillements. 

Djaffar Benmesbah. 

SIWEL 072341 MAI 15 

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