Zedek Mouloud : « le changement pour les Kabyles doit arriver un jour ou l’autre »
Comment présenter l’imprésentable ? Comment parler simplement de quelqu’un dont la parole est d’or ? Dilemme ! Je vais quand même essayer de m’introduire, à travers son œuvre, dans le monde fermé d’un monument de la chanson kabyle. Un monumental poète dont le verbe est à la mesure du temps, des temps. Sa voix lubrifiée avec de l’huile d’olive, entonne la rudesse de la vie et la virilité du montagnard. Avec cette voix rauque et corrosive, il capte l’attention et souffle la souffrance d’un peuple. D’une cause.
Les Kabyles disent de lui qu’il est un forgeron du verbe (Ahedad bwawal) et dieu sait qu’on n’honore pas n’importe qui dans cette contrée au jugement implacable.
Zedek Mouloud chez lui à Ath Khelfoun
Un monsieur dont les textes sont faits pour ceux qui ont le sens de l’écoute et de l’analyse profonde. De la bouche de cet artiste presqu’effacé, les mots n’ont de sens que ce qu’ils véhiculent comme messages et recommandations. De sa bouche sortent des mots dont la portée renvoie à celles des « imgharen izemniyen » ou les vieux sages que la conscience kabyle assimile à des prophètes dont les sentences sémantiques sont indiscutables. Sa poésie est sassée pour ne laisser passer que le meilleur du vocable. Ses chansons sont des hymnes à la vie, aux combats et à la résistance. Avec une acoustique attirante, il subjugue les foules qui l’écoutent comme on écoute une messe.
Pour espérer percer le secret de ses textes, il faut prendre le temps de les réécouter avec la tête et le cœur. On n’écoute pas Zedek mouloud puisque c’est de lui qu’il s’agit, avec une seule oreille.
La langue kabyle n’a point de secret pour celui qui la porte dans son cœur. Il respire avec et transpire avec. . Il puise dans le terroir et dans les tiroirs pour agrémenter la lexicologie codée avec une rime sans pareille. Avec un verbe acerbe et tranché, il s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui en lui rappelant que l’essentiel n’est pas dans l’accessoire mais dans la justesse des causes. La chanson « aqcic » est un rappel à l’ordre envers une génération déphasée et sans identité. Un soldat aussi soit-il ne peut gagner la bataille que s’il est bien armé. Cette chanson est un guide pour ceux qui veulent se ressourcer et aller vers des horizons prometteurs. Dans « d abrid kan » que l’on peut résumer par « juste de passage », l’artiste rend hommage à la Kabylie, sa Kabylie vaste et riche, dans une visite biscornue et déjantée. Il est allé d’un point à l’autre sans visa. Il n’a pas respecté les itinéraires tracés par les humains. Il l’a survolée (la Kabylie) d’une crête à une autre comme un aigle royal. Il fait des intrusions dans chaque hameau sans autorisation. Il cite l’essentiel des tribus qui forment le conglomérat kabyle. Il a fait revivre des noms de légende comme si moh, Dda Lmulud, Feraoun sans oublier les Amrouche, Bessaoud et autres en s’arrêtant sur leurs lieux de naissance ou à travers les œuvres immortelles qu’ils ont laissées. C’est à l’image d’un routard ivre et sans carte à l’errance injustifiée. Zedek est un homme qui baisse les yeux pour que d’autres les ouvrent toutes grandes pour voir le monde tel qu’il est et non tel qu’ils le conçoivent. C’est justement ce qu’il raconte dans la chanson « Tiderwect iw » où il semble faire une halte pour mieux regarder dans le rétroviseur de la (sa) vie. Il en veut aux gens de l’avoir mal compris, mal accompagné. Il s’en veut à lui-même pour sa crédulité. Sans trop de remords, il s’ingénue à s’inventer un autre sort plus rigoureux et plus égoïste lui qui était marqué par la solitude et le combat en solo.
C’est dans ce sens qu’il a rendu précédemment un hommage aux aliénés mentaux dans sa célèbre chanson « aderwic ». Si bob Dylan disait : « There is not success that faillure but faillure is not success at all » (il n y pas de réussite comme l’échec mais dommage l’échec n‘est pas du tout la réussite) en parlant des petites gens, Zedek mouloud dit du fou qu’il est juste malade comme tous les malades, il n‘y a que la maladie qui diffère.
C’est dans ce sens qu’il a rendu précédemment un hommage aux aliénés mentaux dans sa célèbre chanson « aderwic ». Si bob Dylan disait : « There is not success that faillure but faillure is not success at all » (il n y pas de réussite comme l’échec mais dommage l’échec n‘est pas du tout la réussite) en parlant des petites gens, Zedek mouloud dit du fou qu’il est juste malade comme tous les malades, il n‘y a que la maladie qui diffère.
Lui qui tisse et tresse les mots comme un orfèvre qui marie des colliers de perles dans une beauté à crever les yeux, réussit le pari de nous servir seize titres pour tous les goûts. Ses amoureux sont bien servis. Il joue avec le verbe avec une aisance que seuls les anciens sages pourraient en mesurer la teneur et la portée. Il est de la trempe de Si Moh Oumhand, Cheikh Mohand Oulhocine, Yousef Ouqaci et tant d’autres poètes d’antan. Depuis la mort de Matoub lounes, il reste aujourd’hui, incontestablement, un des rares à faire l’unanimité chez les kabyles. Il a chanté tous les sujets sans complexe. Il a rendu hommage à la femme, à l’amour, à nos traditions. Souvent, il interpelle la conscience kabyle pour un sursaut salvateur d’une culture en déclin. Il pleure- presque- le veuvage d’une région sans tuteur depuis bien longtemps. Il creuse dans l’hypogée de nos us et coutumes pour tenter une réincarnation salutaire du fil atavique qui nous relie à la nuit des temps où tamazgha resplendissait de la richesse multidimensionnelle de ses fils.
Je m’arrête à ce survol furtif et superficiel de l’œuvre d’un homme exceptionnel, au service d’une région exceptionnelle. Son œuvre est à l’image d’une Kabylie meurtrie pour laquelle il prescrit des odes en guise de soins indolores. L’amour, la haine, la fraternité, l’union et le déchirement fratricide sont tous décrits avec une âme kabyle. Il interpelle sans insulter. Il appelle sans crier et il conseille sans forcer. Avec sa timidité légendaire, il respire et chante avec l’accompagnement des échos des montagnes du Djurdjura en guise de cordon avec les racines perturbées.
Nous terminons cette analyse en remerciant Zedek Mouloud pour son hospitalité. Il nous a reçu chez lui à Ath Khelfoun, pour une interview. Merci pour le couscous.
Kabyle.com : Dans votre dernier album, on sent une certaine amertume n’est ce pas ?
Kabyle.com : Dans votre dernier album, on sent une certaine amertume n’est ce pas ?
Zedek Mouloud : Si vous décelez un semblant d’amertume dans mes textes c’est surtout pour dire qu’il y a dans ce que nous constatons quotidiennement des éléments qui ne reflètent pas la vision que nous souhaitons pour nos compatriotes. Nous ne serons satisfaits que le jour où nos rêves seront concrétisés.
A travers vos chansons, on sent des cris de détresse sur des sujets divers, êtes-vous à ce point pessimiste ?
Les cris de détresse c’est surtout par apport à la situation que vivent les kabyles et la Kabylie. Sinon je suis de nature optimiste-résistant et je travaille chaque jour que dieu fait pour que les choses aillent dans le bon sens. Le changement doit arriver un jour ou l’autre.
Est-ce que l’amour se conjugue au kabyle ?
Il n’y a pas de société sans amour et cet amour se définit par à un espace et à une culture donné. Tayri (l’amour) chez les kabyles se vit selon le modèle de société kabyle et il ne peut se vivre autrement. L’amour est un, la manière de le vivre est différente. La relation entre chaque membre d’un même clan suit le mode d’organisation des individus de ce clan et cela implique tous les liens de communication qui les régissent.
Vous essayez tout le temps d’attirer l’attention sur le déclin de la société kabyle, le message est-il arrivé ?
Toute mon œuvre va dans ce sens. Je ne suis pas un donneur de leçons mais j’essaie de dire leurs tares aux miens. Je leurs tend un miroir pour qu’ils se regardent dedans et se découvrent réellement. Je me sens concerné par tout ce qui se passe autour de moi et surtout chez moi parce que la Kabylie c’est le seul chez moi.
Quel est votre constat actuel sur la chanson kabyle ?
C’est à l’image de tout le reste. Les gens préfèrent le style du non-stop et c’est là leur droit absolu. La poésie et le travail de recherche sont l’apanage d’une minorité de curieux privilégiés. Les temps sont à la danse et à la rythmique Quant à moi, je ne peux dévier de mon chemin. J’essaie d’imiter ceux qui m’ont précédé et qui ont écrit la poésie kabyle avec des lettres d’or. Je fais beaucoup de recherches avant de proposer un produit. La vraie poésie a ses adeptes et j’en suis un.
Pour vous, l’artiste kabyle peut-il être un artiste comme les autres ?
Chacun s’identifie à son espace vital. L’artiste doit suivre les pulsations de ses semblables sans trahir ses convictions personnelles. Il ne faut pas perturber la cohésion de la collectivité dans laquelle nous vivons. Vu la situation actuelle, il ne peut pas être comme les autres. L’artiste kabyle est partie prenante du combat pour la survie de notre identité. Il n’a pas le droit de décevoir ni de fuir ses responsabilités. L’artiste est un repère pour ceux qui l’écoutent. Il n’a de choix que celui qui mène à la lumière.
Zedek est-il un observateur ou un acteur de la scène kabyle ?
Je suis observateur qui se sent concerné par ce qui se passe autour de lui. Je tente d’ajouter ma pierre à l’édifice à ma manière.
Le mot de la fin et pour vous
Je remercie vivement votre journal Kabyle.com et ma porte vous sera toujours ouverte avec un grand plaisir. Ar tufat et tanemirt.
Benamghar Rabah
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