Azawad - Observations adressées à Nicole Kiil-Nielsen
Observations adressées à Nicole Kiil-Nielsen suite à son intervention lors de la conférence sur l’Azawad
le 23 octobre 2012 au Parlement Européen à Strasbourg
Chère Madame la députée,
J’ai assisté à la conférence sur « l’avenir de l’Azawad » organisée le 23 octobre dernier au Parlement Européen à Strasbourg par François Alfonsi, Franziska Brantner et Indrek Tarand, députés membres du groupe Verts-Alliance Libre Européenne. Comme l’a rappelé M. Alfonsi dans son introduction, cette conférence avait pour principal but d’entendre les propositions du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) concernant la sortie de crise au Mali.
Comme le temps était limité et que la priorité a été légitimement donnée aux parlementaires, je n’ai pas pu réagir de vive voix à votre intervention et me vois contraint de le faire par écrit.
Après les exposés des 3 membres du MNLA, François Alfonsi annonce qu’il reste une demi-heure pour le débat. Vous demandez alors la parole et vous tenez d’emblée à préciser que cette conférence n’est pas organisée par le groupe Verts-ALE mais seulement par les trois députés cités plus haut. Y avait-il besoin de le préciser ? Le communiqué de presse diffusé par les trois députés organisateurs était pourtant sans ambiguïté sur ce point. Du coup j’ai trouvé cette «mise au point» à la fois inélégante et fort peu sympathique envers des collègues du même groupe ! Vous vous lancez ensuite dans un discours de 15 à 20 minutes, d’une grande virulence contre le MNLA et contre les Touaregs en particulier. Je dois dire que j’ai été choqué par le ton enflammé et agressif tant je ne m’attendais pas du tout à l’entendre de la bouche d’une députée sensée rechercher la paix ! Quant au contenu, vous n’aviez aucune question à poser mais juste des jugements péremptoires avec une volonté visible de «casser du MNLA».
Après ce préambule, voici quelques unes de mes remarques concernant le fond de la question :
A plusieurs reprises vous utilisez le terme de «mercenaires» pour parler des combattants Touaregs. Or l’article 47 de la Convention de Genève définit un mercenaire comme un soldat qui notamment, «n'est pas ressortissant d'une Partie au conflit». Or aucun Touareg membre du MNLA n’est étranger au conflit en question et par conséquent ne peut être qualifié de mercenaire. Il est bon de rappeler que les Touaregs forment le peuple autochtone du désert saharo-sahélien et à l’intérieur de leurs territoires historiques, ils sont chez eux, même si ces territoires sont aujourd’hui traversés par les frontières de 6 Etats (Algérie, Libye, Niger, Mali, Burkina-Faso, Mauritanie). Merci la France qui a fait ce découpage insensé qui fait des Touaregs des étrangers chez eux ! En revanche, il semblerait que le gouvernement malien ait eu recours à de vrais mercenaires, de nationalité ukrainienne, pilotes d’hélicoptères de combat qui ont bombardé en février 2012 des campements de civils dans la région de Kidal, ce qui a été d’ailleurs dénoncé par Amnesty-International et Médecins Sans Frontières.
Concernant l’objectif de l’indépendance de l’Azawad conforme rappelons-le, au droit international, vous répondez que vous pourriez être d’accord avec une autodétermination interne mais pas externe !? Ce à quoi un de vos collègues Vert, présent dans la salle répond très justement : «il n’appartient pas à un peuple de décider du droit à l’autodétermination d’un autre peuple». Sans commentaire.
Sur la question des droits de l’Homme, vous avez de manière véhémente et sans aucune preuve sérieuse, dénoncé le MNLA qui serait à vos yeux le seul responsable des violations des droits humains. Le MNLA ne rejette pas la possibilité que certains de ses combattants aient pu être les auteurs d’exactions mais dans tous les cas, le MNLA réclame une enquête internationale indépendante et se déclare disposé à coopérer avec la CPI afin que tous les auteurs de violations des droits humains soient identifiés et poursuivis en justice. Il doit être clair que l’enquête de la CPI ou de n’importe quelle ONG doit concerner non seulement le MNLA mais aussi les groupes islamistes armés et l’armée malienne. Il faudra bien également que l’on évoque un jour ces massacres perpétrés par les soldats maliens contre les populations touarègues du nord-Mali en 1963, dans les années 1990 et 2000.
Vous avez évoqué également les prétendus liens entre les groupes islamistes et le MNLA. Pourtant vous avez entendu les représentants du MNLA redire ici que leur projet est républicain, démocratique et laïque et que de ce fait, ils ne peuvent rien partager avec les extrémistes religieux. Le rapprochement qu’ils ont eu à un moment donné avec Ansar-Dine, groupe islamiste composé essentiellement de Touaregs, était uniquement destiné à tenter d’arracher ce groupe des griffes de Alqaeda et du Mujao et de diviser ce «front» islamiste. Dès que le MNLA s’est rendu compte de l’impossibilité d’atteindre cet objectif, il a rompu toute relation avec Ansar-Dine. A ce sujet, je trouve d’ailleurs curieux que vous dénonciez une éventuelle relation entre le MNLA et les islamistes au moment où vous-même vous appelez à la négociation avec les groupes islamistes armés qui occupent une partie de l’Azawad, au prétexte qu’on discute bien avec les Talibans en Afghanistan ! Et bien sûr, vous occultez le fait que les islamistes sont présents dans le Sahel depuis la fin des années 1990, et y ont vécu au vu et au su des Etats de la région et des puissances occidentales et que l’armée malienne et même ATT auraient bénéficié des revenus de leurs trafics illégaux.
En rappelant que le MNLA a été défait militairement par les groupes islamistes, ce qui visiblement vous réjouit, vous avez essayé de minimiser la force que représente le MNLA pour justifier le fait qu’il ne doit pas être considéré comme un partenaire avec qui on peut dialoguer ou sur qui on peut compter. Curieuse posture d’une députée écologiste qui préfère soutenir les plus forts au lieu de défendre les droits humains et les peuples opprimés.
Par ailleurs, nul besoin d’être un fin stratège militaire pour comprendre qu’une éventuelle action armée contre les groupes islamistes installés au nord-Mali serait vouée à l’échec si elle est menée sans le MNLA et à fortiori contre lui. En réalité, les observateurs avertis sont convaincus que seuls les autochtones sont capables de mener une action efficace contre les groupes islamistes car ils connaissent mieux que quiconque cet espace qui est le leur et parce qu’ils sont motivés et aguerris. Ils seront également les mieux placés pour en assurer la sécurité et le développement durables à condition qu’on leur fasse confiance et qu’on les y aide.
Pour finir et d’après ma connaissance du terrain, je suis persuadé que ni les Touaregs ni les autres communautés (Maures, Songhais, Peuls) coalisées au sein du MNLA ne sont des va-t-en-guerre. Leur combat est un combat pour la survie, eux qui sont coincés entre l’enclume de l’âpreté des conditions de vie dans le désert et la prédation des hommes plus puissants. Leurs révoltes, y compris la dernière, sont des révoltes de désespoir, un moyen de crier leur désarroi. Qui les a entendus depuis 50 ans que dure la spoliation de leurs richesses ? Qui les aurait entendus sans les détonations des armes ? Qui est capable de les écouter sereinement et de les associer aux décisions qui les concernent ? Pour qu’enfin ils reprennent confiance en l’humanité et recréent l’espoir et la vie dans cette zone qui a tant besoin de répit.
Cordialement,
Belkacem Lounes
Conseiller Régional Rhône-Alpes
RPS-EELV
Octobre 2012
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