jeudi 21 février 2013

Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Guerre totale, guerre cruelle - Bou Baghla et les Ouzellaguen, un coup d'audace - Histoire de l'Algérie

Mardi 19 février 2013
 
5) Bou Baghla et les Ouzellaguen, un coup d'audace
 
Le chérif Bou Baghla et les Ouzellaguen ont déjà eu l'occasion de travailler ensemble. Ce qui profondément décide du combat est qu'ils ont entre eux une fraternité d'armes qui remonte aux tous premiers jours. C'est l'insurrection qui se juge : les Ouzellaguen, jouant un rôle de premier plan, ont participé au déclenchement de l'insurrection et à son développement, notamment en poussant sur leur frontière avec les At Oughlis, semant la crainte chez les partisans de la soumission, et surtout ils participèrent à l'édification de Bou Baghla. Les Ouzellaguen ont ainsi établi avec Bou Baghla des liens profonds, dès la première heure, comme il fut fait pour les précédents chérifs, liens qui créent entre eux des relations personnalisées et d'étroite connaissance. Bou Baghla n'est pas pour eux un chef menaçant et ombrageux. Ayant contribué à l'élever, ils ont une sorte de regard privilégié sur sa personne.
Les Ouzellaguen ont participé de façon décisive, avec Bou Baghla, au "complot" tramé contre Ben Ali Chérif, voyant son Azib réduit en cendres, son immense troupeau enlevé, ses partisans, moins non nombreux qu'on a voulu le croire et surtout moins convaincus, fondre comme neige au soleil, l'obligeant à fuir seul, in extremis, chez les At Abbès. Ce sont les Ouzellaguen qui ont su garder le secret de l'affaire pour emporter la crédulité de Ben Ali Chérif. C'était le signal d'une insurrection qui allait
 
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prendre une grande ampleur, une que le chérif Moulay Brahim avait sans grand succès cherché à fomenter, et permettre ou annoncer la naissance audacieuse d'un véritable chérif.
Mais, quelques jours plus tard, dans l'attaque lancée contre le village de Chellata, demeure de Ben Ali Chérif et siège de la grande zawiyya, Bou Baghla avec ses cavaliers et ses fantassins essuya un revers. La mère de Ben Ali Chérif venait de réussir de façon inespérée, alors que la plupart des partisans de Ben Ali Chérif s'effaçaient devant le triomphe des insurgés aux Illoula Assameur, à fustiger ses troupes et à leur faire faire une volte-face, les braquant contre les assaillants qui s'attendaient à une victoire facile. Bou Baghla surpris de ce retournement inopiné de la situation, perdit 10 hommes contre 2 aux partisans de Ben Ali Chérif. Poursuivi, il se retira avec 4 ou 5 hommes aux Ouzellaguen, empruntant le chemin qui court sur la partie supérieure du versant et qui relie Chellata à Ibouziden. Il s'arrêta précisément dans le grand village d'Ibouziden, tête de la fraction du même nom, frontalière de celle d'Ighil Gou M'ced, des Illoula. Là, il y passa la nuit du 23 au 24 mars 1851. À en croire le commandant Robin, il y subit les moqueries des Ouzellaguen. Bou Baghla, pour se dédouaner, leur fit valoir qu'il avait été enchaîné par l'ancêtre de Ben Ali Chérif. Il est certain, que les Ouzellaguen qui connaissent Ben Ali Chérif et sa famille pour ce qu'ils sont, ne sont pas restés crédules :
"Bou Bar'la, après sa défaite, n'osa pas retourner aux Beni-Mellikeuch et il alla se réfugier au village d'Ibouziden, dans les Ouarzellaguen, où il eut à essuyer les moqueries des Kabyles. Pour expliquer sa déroute, il raconta qu'un cavalier invisible était venu l'enchaîner pendant l'action et que ce devait être l'ancêtre de Ben Ali Chérif qui avait voulu protéger lui-même sa zaouïa."[1]
La grande insurrection dirigée par Bou Baghla prend naissance véritablement aux Ouzellaguen. Cela, c'est Beauprête lui-même qui nous l'apprend. Elle se déclenche le lendemain même de l'arrivée de Bou Baghla aux Ouzellaguen, et des moqueries qu'il aurait essuyées en arrivant :
"Les Mzeladja sont complètement insurgés et suivent Bou Baghla. [...] le Derwiche ayant reconnu l'impossibilité d'attaquer avec le peu de monde dont il pouvait disposer les villages du haut de la vallée, se retourna du côté des Illoulas et Mzeladja afin de se faire suivre par eux".[2]
Les Ouzellaguen ont voulu l'insurrection car ils désespéraient
 
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d'enrayer les progrès de la cause française dans la vallée de la Soummam, par une guerre qui ne trouve pas finalement son envergure avec le chérif Moulay Brahim, une guerre qui reste confinée dans des escarmouches, des coups de main ou des tiraillements relativement stériles entre Kabyles des deux camps. En 1850, le retour offensif de l'influence de Bougie a créé un enchaînement précipité des soumissions, dont le résultat est d'isoler totalement les Ouzellaguen et les At Mellikeuch dans la vallée de la Soummam, les seuls qui conservent leur indépendance et mènent la résistance.
Les Ouzellaguen devaient pour des raisons politiques autant que matérielles et économiques desserrer l'étau, ruiner une fois pour toute la position de Ben Ali Chérif et des autres chefs indigènes rivés à l'administration bougiote, les cheikhs des At Oughlis, de l'Harrach avec Si Chérif Amzian ben Si el Mihoub, At Tamzalt avec le caïd des caïds Ou Rabah des Ouled Abd el Djebbar, le goum de Beauprête qui opère autour de son camp des At Mansour... Ouvrir aux Ouzellaguen, le commerce avec les populations alors soumises et avec Bougie occupée par les Français, car les denrées, notamment les huiles, dorment invendues dans les maisons ou encore, pour être effectivement vendues, doivent passer par des intermédiaires qui prennent leur part dans les transactions.
L'insurrection est une aubaine pour emballer la situation, éviter l'asphyxie, autoriser des actions faciles, obtenues souvent sans combat et aux résultats immédiats et probants. De cette façon, les Ouzellaguen rendent la pareille aux At Oughlis qui se faisaient une fierté de les amener à soumission complète en 1850. Avec l'insurrection, ce sont, moins d'un an après, les Ouzellaguen qui prennent leur revanche et par leur pression insurrectionnelle affolent les At Oughlis, promoteurs de la soumission.
D'une façon plus immédiate, ils ne peuvent accepter le revers essuyé la veille par Bou Baghla et qui se répercute sur l'ensemble des partisans de l'indépendance. Ils ne peuvent permettre un retour en force de Ben Ali Chérif et de ses partisans pour lesquels les Ouzellaguen ont beaucoup compté dans leur perte. Ils comprennent, avec le chérif, qu'il faut donner une tournure irréversible à l'insurrection, sinon la première étape, l'incendie de l'Azib et la fuite de Ben Ali Chérif, risque de mourir sans conséquence et, au contraire, d'en induire de plus fâcheuses.
 
© Abdel-Aziz Sadki
mis en ligne le 19 février 2013

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