Congrès de la Soummam : victoire des Pyrrhus de la révolution ou jaillissement d’un terroir
Tamurt – Elaboré par Abane Ramdane et Larbi Benmehidi, le congrès de la Soummam déterminant pour une révolution et une lutte sans merci contre l’envahisseur avait pour but précis et légitime, l’adoption d’une charte charpentant l’ossature du mouvement de la révolte contre le colonialisme, diviser l’Algérie en wilayas et zones, et doter l’organisation révolutionnaire d’une structure militaire et administrative audacieusement agencée.
Abane Ramdane : le dirigeant de la résistance nationale
« Deux solutions s’offraient au groupe des 22 : organiser d’abord et déclencher ensuite ou déclencher d’abord et organiser ensuite… Nous étions obligés de choisir la deuxième solution », témoigne Lakhdar Bentobbal.
En effet, une réunion a été prévue pour le début janvier 1955 afin de discuter la plateforme de la guerre. Mais la terrible répression de l’armée française sur le constantinois le 20 août 1955 et l’absence sur le sol national du coordinateur des cinq régions, Mohamed Boudiaf, parti au Caire pour rejoindre la délégation extérieure, rendent le maintien de cette réunion complexe. Pour remédier à ces déficiences, un ancien militant du Parti du peuple algérien (PPA), Abane Ramdane, arrêté en 1950 et libéré en janvier 1955, réapparaît. Ses contacts avec les chefs du maquis en Kabylie, ensuite dans l’Algérois, après sa rencontre avec Larbi Ben M’hidi, aboutiront à des résultats flamboyants.
D’une façon générale, la mission que s’assigne le groupe dirigé par Abane Ramdane est indubitablement de définir les orientations de la révolution algérienne et, par la même occasion, mettre en place une organisation dirigeante capable de mener à bien la mission de la libération nationale. De la même façon, en réaffirmant les principes d’indépendance, il s’agit d’émettre un signal d’assurance et de maîtrise à l’adversaire. En plus, aux responsables français qui proclament que « les événements d’Algérie » sont le fait de quelques fellaghas lâches et néfastes, l’adoption d’un programme précis serait de réprimander ces idées reçues.
C’est donc toute l’imagerie répandue dans la rhétorique coloniale qui commence à se fissurer, avant de voler en éclats quand Ferhat Abbas, ses amis et les dignitaires ulémas rejoignent la rébellion et contribuent à donner au FLN (Front de Libération Nationale) l’étoffe d’un mouvement respectable et insoluble. En tout cas, depuis la libération d’Abane Ramdane, en janvier 1955, coïncidant avec la programmation de la réunion nationale de bilan et d’évaluation des premiers mois de la lutte, le « grand César » de la Kabylie s’apprête à organiser la révolution pour qu’elle ait une envergure nationale. Ceci
dit, le fait saillant de la kabylisation de la direction de la révolution, décriée par certains, a été relevé par l’historien, Ali Guenoun, dans sa communication intitulée « la suprématie de la Wilaya III dans la direction de la guerre ». Il citera, entre autres, Amirouche, Ouamrane, Abane, Krim et Ali Mellah. « Ce n’est pas une question de hasard mais ce sont les circonstances qui ont fait que les kabyles soient à la tête du FLN et de l’ALN. Il fallait se remettre dans le contexte de l’époque pour comprendre1 », suggérera-t-il.
Dans son premier tract d’avril 1955, Abane Ramdane exhorte les Algériens à rejoindre massivement le FLN. En voulant dépasser les querelles désuètes sur les maquisards de la première heure et les autres, il pense que le FLN doit être la propriété de tout le peuple algérien. Par conséquent, chaque militant est appelé à jouer un rôle donné. Mais ce qui gêne les adversaires de cette ligne, c’est de voir tous les Algériens, pour peu qu’ils soient compétents, prétendre à de hautes responsabilités.
Le souci d’Abane est également de préserver la révolution de toute accusation tendant à l’assimiler à un projet religieux, doctrinaire ou xénophobe. Il s’agit aussi de la rendre conforme aux principes d’éthique, de tolérance et de liberté propres à toute société moderne. Car » la révolution algérienne s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité2″. C’est ce qu’il entend affirmer solennellement dans la plate-forme doctrinaire qu’il envisage de faire adopter au premier congrès du FLN qui se tiendra en août 1956 en Petite Kabylie.
La révolution sur les rails
La révolution est en déambulation. Le début de l’été 1956 voit les dirigeants nationaux du FLN se préparer fébrilement à quitter Alger pour gagner Ifri. C’est dans ce hameau, bien accroché au flanc sud du Djurdjura et dominant l’oued Soummam, que se jouera l’avenir de l’insurrection algérienne et se dresseront les premières fondations de « l’Etat national algérien renaissant » après 126 ans du débarquement français à Sidi Ferruch.
Ceci dit, malgré les difficultés inhérentes au quadrillage du territoire par l’armée française, les responsables du FLN parviennent à tenir leur congrès. Ses travaux commencent le 20 août 1956 pour
se terminer le 5 septembre 1956. Toutefois, bien que les états-majors des zones [le terme wilaya n’est apparu qu’après l’adoption de la plateforme de la Soummam], plusieurs chefs n’ont pas pu assister au congrès. Pour Abane et Ben M’hidi, c’est le grand le tournant où toute la révolution se métamorphose. La résistance algérienne prend une nouvelle apparence.
Le congrès de la Soummam a eu une importance capitale pour la conduite de la révolution et son succès. Il a organisé les instruments politiques et militaires de la guerre de libération nationale. Les différentes zones de la révolution (qui deviennent des wilayas) ont été délimitées territorialement. L’Armée de Libération Nationale est devenue une armée régulière avec une hiérarchie, des grades, des commandements aux compétences déterminées. La grande force des résolutions du « Congrès de la Soummam » réside dans le fait que ce dernier a clairement défini les objectifs politiques de la guerre de libération nationale. La stratégie militaire adoptée soumet les actions du combat armé à un objectif politique principal : forcer le gouvernement français à reconnaître le droit à l’indépendance du peuple algérien. Il a fait de la révolution algérienne un grand mouvement populaire armé, doté d’une structure et d’une forme d’organisation la plus élaborée et la plus adaptée à la lutte, suivant une stratégie de large union au-delà des divergences idéologiques et des contradictions sociales.
Par ailleurs, bien que les résolutions du congrès de la Soummam soient conformes aux objectifs définis en novembre 1954, certains responsables, à leur tête Ahmed Ben Bella, contestent les décisions du congrès dans le fond et dans la forme. Zighout le confirme notamment dans ses confessions : « si l’extérieur n’est pas là, on contestera le congrès et notre réunion ne servira à rien3 ». Autrement dit, leur isolement les pousse à récuser toute nouvelle décision et surtout l’émergence de nouveaux dirigeants. Parmi les membres de la délégation extérieure, Hocine Aït Ahmed, le seul qui soutienne les résolutions de la Soummam, révèle que leur rejet concerne la direction.
Pour conclure, les principes de la Soumam fondés par Abane et Ben M’hidi n’ont pas survécu longtemps. En effet, lors du conseil national de la révolution algérienne réuni au Caire, le 26 août 1957, les principes ont été réécrits : égalité entre l’intérieur et l’extérieur et alliance entre le FLN et ALN (Armée de Libération Nationale). C’est la ligne de conduite de la révolution algérienne jusqu’aux accords d’Evian. En définitive, sa majesté l’armée nationale a existé préalablement à toute organisation politique avant et après l’indépendance du pays.
Cherifi
1 Hocine Aït Djoudi, Ouzellaguen : rencontres-débats sur le Congrès de la Soummam, El Watan, le 25 juillet 2012.
2 Bélaïd Abane, Le Congrès de la Soummam ou l’étape de la maturité révolutionnaire, El Watan, 21 août 2009.
3 Yves Courrière, La guerre d’Algérie. 1954-1957, Les fils de la Toussaint, Le temps des léopards, Tome 1, Fayard, 2001.
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