samedi 6 septembre 2014

Pouvoir et Kabylie : un demi-siècle de désaccords (I)


Les rencontres organisées par M. Ahmed Ouyahia à partir de son bureau par diligence du président Bouteflika reflètent les intentions du pouvoir en place qui reste fidèle à ses manipulations afin de s'éterniser sur le trône de la république royaliste.
En dépit de sa légitimité et des nombreux sacrifices consentis par ses défenseurs, la dimension amazighe est loin d'être reconnue par le pouvoir.En dépit de sa légitimité et des nombreux sacrifices consentis par ses défenseurs, la dimension amazighe est loin d'être reconnue par le pouvoir.
On n'a pas besoin d'être un génie pour comprendre ses agissements diaboliques. Ces consultations sur la révision de la constitution sont censées toucher toutes les composantes de la société algérienne, mais comme il ne choisit que les interlocuteurs qui rentrent dans son moule, il a préféré comme d'habitude écarter l'élite berbérophone activant dans le domaine amazigh qui représente pourtant une large couche du peuple.
L'histoire noire de ce pouvoir nous a appris que l'avis du citoyen ne l'avait jamais intéressé. Lorsqu'il fait semblant de le consulter, c'est uniquement dans le dessein de redorer son blason devant l'opinion nationale et internationale et montrer un visage qui n'est nullement le sien, en se masquant d'une fausse démocratie pour mettre à la fin tout le monde devant le fait accompli, c’est-à-dire préserver tous les privilèges qui le maintiennent à la tête de l'État, sans se soucier des avis collectés ni du peuple lui-même.
L’amazighité, une composante toujours marginalisée
Pour la question amazighe, le pouvoir n'a pas écarté ses représentants par oubli ou par idiotie ; d'ailleurs il est loin de ce qualificatif, car il est plus malin que l'ange déchu lui-même, mais par calculs politiques et discriminatoires, sous prétexte de la préservation des prétendues constantes nationales et de l'unité de la nation.
À l'occasion de ces pourparlers qui ont exclu la dimension amazighe, il est nécessaire de rappeler certains événements qui ont secoué la Kabylie et leurs lourdes conséquences sur cette région, suite à la revendication de son identité, de sa culture et de sa langue.
Au moment où les pauvres citoyens fêtaient leur indépendance dans les rues des villes et des villages, en, 1962, l'armée de l’extérieur, sous le commandement de ceux qui savouraient durant les années de braise la Mouloukhia auprès de Djamal Abdenacer en Égypte a franchi la frontière pour violer la légitimité et installer un régime stalinien, totalitaire, basé sur l'unicité d'une fausse identité, de langue, de confession et de pensée. C'est ainsi que le mot amazigh est banni du dictionnaire du pouvoir et c'est ainsi que les Kabyles, les Chaoui, les Mouzabites, les Chenouis et les Touaregs sont classés citoyens de seconde zone.
Pour accomplir sa sale besogne, le pouvoir a lancé une campagne d'arabisation destructrice, afin de gommer toute trace de l'authenticité algérienne. Des noms de lieux, de villes et de régions entières ont été troqués par des noms arabes qui donnent dès fois envie de rire, car ils n'ont aucun sens dans cette nouvelle langue. À titre d'exemple : Thizi icheladhan qui signifie : col des Icheladen baptisé : Chelata شلاطة     (salade).
En dépit de cet acharnement diabolique, le pouvoir en place n'a pas pu arriver à ses fins, comme c'était le cas pour le mouvement national après la fameuse rencontre de Messali Hadj avec Chakib Arslan, en 1932, qui a abouti à l'effacement du composant amazigh de l'identité nationale et la mise à l’écart de toutes les personnalités qui se revendiquent de cette dimension telles que Sadek Hadjres, Idir Aït Amrane, Khelifati Mohand Amokrane, Amar Aït Hamouda, Bennaï Ouali, Ali Yahia Rachid et j'en passe. Comme si toutes ces marginalisations ne suffisaient pas, les tenants de l’unicité de la pensée, hostiles à la diversité, sont passés au plus grave. Autrement dit l'assassinat des révolutionnaires kabyles. Parmi les victimes, figurent : Bennaï Ouali, M'barek Aït Menguellet, Amar Ould Hamouda, etc. Rien n'a pu les sauver, ni leur patriotisme ni leur mobilisation contre le colonialisme, car les décideurs jugeaient que la liquidation de ces héros est plus prioritaire que l'indépendance de la patrie.
Même durant la révolution, l'hostilité et la méfiance du kabyle étaient toujours présentes. O ! Combien d'hommes ont été sacrifiés sur l'autel de l'arabisme pour satisfaire les frères du levant. Parmi ces immolés, l'architecte du congrès de la Soummam Abane Ramdane, étranglé au Maroc pour ses origines.
Ceux qui ont volé l'indépendance au peuple, le rêve et l'espoir aux jeunes et les richesses du pays aux misérables n'ont jamais caché leur hostilité à l'identité et à la culture amazighe. Ben Bella l'a affirmé dans son sinistre discours de Tunis, en répétant trois fois : "Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes". Depuis, le Kabyle qui habitait et défendait cette terre durant des millénaires doit prouver à chaque instant son patriotisme, comme si la Kabylie qui comptent le plus grand nombre de martyrs que toutes les autres wilayas ne suffisait pas. Et que le congrès de la Soummam et la déclaration du 1er novembre 1954 qui ont vu le jour dans cette région n'ont aucune valeur aux yeux du régime.
Sinon, comment expliquer la liquidation du signataire des accords d'Évian Krim Belkacem, le nommé "Le lion du djebel" que la France coloniale traquait depuis 1947 sans y arriver. Les nouveaux maîtres de l'Algérie indépendante ont pu accomplir cette sinistre tâche en l'étranglant avec sa propre cravate dans un hôtel allemand à francfort, le 18 octobre 1970.
Le fils de la Kabylie Hocine Aït Ahmed qui a rejoint les rangs du PPA à l'âge de 16 ans, qui a préconisé la création de l'Organisation spéciale (OS) en 1947, qui a dirigé la délégation algérienne à la conférence de Bandung en avril 1955 et l'un des principaux chefs du Front de libération nationale (FLN) a été marginalisé et poussé à prendre le maquis contre l'injustice et la dictature, en 1963.
Est-ce que tous ces crimes ne sont que pur hasard ? Qu'importe ! Au diable ce hasard et ce destin qui ne s'acharnent que contre tout ce qui est amazigh !
Quel péché les Amazighs ont-ils donc commis pour que les malheurs ne s'abattent que sur eux, hormis leur amour à la patrie, leur bravoure face à l'ennemi et leur sacrifice pour que le peuple retrouve sa dignité et sa liberté ?
L'indépendance tant attendue par l'ensemble des Algériens n'a effleuré que timidement la Kabylie, en dépit du fait que ses meilleurs fils sont tombés au champ d'honneur pour cette noble cause. L'ANP n'a pas tardé à prendre la place de l'armée coloniale presque avec le même comportement pendant la guérilla du FFS. L’ANP appuyée par des miliciens se mettra à traquer les frères d'hier, les maquisards du FFS qui avaient le courage de s'opposer à la dictature et à l'illégitimité, sous le commandement de Hocine Aït Ahmed, du colonel Mohand Oulhadj et du lieutenant Yaha Abdelhafidh. Seulement, d’octobre 1963 à juin 1965, cette armée (pas si populaire) n'a en définitive réussi qu'à allonger la liste des veuves et d'orphelins, en liquidant 453 moudjahid parmi ceux qui sont restés fidèles à la déclaration du 1er novembre 1954.
Cette indépendance chèrement payée a-t-elle apporté quelque chose à la culture et la langue amazighe ?
- Une médiocre radio (la chaîne deux) héritée de l'ère coloniale. Elle n'émettait que dix heures par jour et ne couvre qu'une petite partie de la Kabylie. A la chaîne II, la censure est une seconde nature. Ses programmes sont sous surveillance, tout artiste qui ne se répand pas en louanges à la politique discriminatoire du pouvoir en place, tels que  Slimane Azem, Sadaoui Salah, Matoub Lounes, Aït Meslayene, Mohya sont passés à la trappe…
- La télévision, qui est devenue l'organe de propagande du régime par excellence, si par miracle diffuse une chanson kabyle qu'elle considère comme une faveur pour ces indigènes des hautes montagnes, elle est programmée très tard la nuit afin de les obliger à écouter les glorifications des chanteurs arabophones. L’ENTV a exclu tous les artistes qui portent la voix du peuple. Slimane Azem a été inscrit sur la liste des sionistes interdits de diffusion suite à la guerre d'octobre 1967 à côté d'Enrico Macias. Dans tous les galas transmis par cette boîte noire, les participants ouvrent droit à trois chansons, excepté les Kabyles limités à une seule et unique chanson.
Comment qualififer ces agissements haineux, si ce n'est pas du racisme et de la discrimination ?
- La grande dame Taous Amrouche a été empêchée de participer au festival de la chanson africaine organisée par l'Algérie, en 1969, en dépit de sa valeur intellectuelle et de sa voix exceptionnelle, allant du plus grave au plus aigu, à la fois ample et riche de timbre. Cette grande dame de la culture amazighe ne plaisait pas aux organisateurs. Son engagement sans faille pour la préservation de sa culture et son attachement à ses origines a indisposé les tenants de l’arabo-baâthisme.
- Interdiction des cours berbères, pourtant facultatifs, assurés par feu Mouloud Mammeri à la faculté d'Alger. Mais cet immense chercheur et écrivain connaîtra d'autres censures que nous considérons comme atteinte à l'histoire et au peuple algérien.  Le film "L’opium et le bâton" a été censuré de deux noms, Amirouche et Akli. Pour le premier, c'est dans le but de gommer le nom du colonel qui a fait trembler la terre sous les pieds du colonialisme et pour le second, c'est à cause de son originalité kabyle. Pas seulement, il y aura aussi l'interdiction de sa conférence de 1980 sur la poésie ancienne de Kabylie sur laquelle nous reviendrons plus loin.
L’Académie berbère
Toute cette répression, cette négation et cette discrimination raciale ont engendré l'Académie berbère (Agraw imazighen). Cet institut a été créé à Paris, le 4 juin 1966, lors d'une réunion au domicile de Taos Amrouche. Son travail a contribué à l’éclosion et à l’éveil des consciences pour la reconnaissance de l’identité et de la culture amazighe, notamment en Kabylie. Le régime qui chassait toute personne représentant le mouvement amazigh a poursuivi les initiateurs jusqu’à la capitale française par le biais de l'amicale des Algériens en Europe, jusqu'à sa dissolution, en 1978, suite aux pressions du gouvernement algérien sur la France qui ont abouti à l'expulsion de son président Mohand Arab Bessaoud vers le Royaume-Uni. (A suivre)
Ali Aït Djoudi

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