lundi 30 mars 2015

à l’occasion d’une conférence-débat organisée au TRB

La préhistoire de Béjaïa revisitée

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Une conférence a été donnée, vendredi dernier, au théâtre régional de Béjaïa, par le docteur Nadjib Ferhat sur le thème de la préhistoire de la région de Béjaïa. On y a appris des choses intéressantes.
Cette région a abrité une importante civilisation dès les temps préhistoriques, jouant un rôle primordial dans la civilisation humaine. L’Homo Bgaïticus aurait-il vraiment existé ?Nadjib Ferhat est géologue-préhistorien de formation. Il est universitaire, académicien et directeur de recherches. Il a passé ces trente dernières années à étudier la préhistoire de notre pays, arrivant petit à petit à faire des découvertes étonnantes sur les secrets que renferme notre préhistoire. Il a été invité à donner une conférence à Béjaïa, pour partager avec le public ses connaissances et ses découvertes. C'est la Fondation Asaka, présidée par Ali Sayad, qui a organisé l’événement avec l’association Bruits de Mots, le Comité des Fêtes de la ville de Béjaïa et le TRB Malek Bouguermouh. La salle n’a été qu’à moitié pleine. Mais le public était constitué de personnes intéressées par le sujet, et le débat qui a suivi la conférence a montré que la ville regorge de personnes portées sur la préhistoire de Béjaïa. Nadjib Ferhat a été recruté par Mouloud Mammeri qui lui a conseillé de s’occuper de la géologie, plutôt que d’autres domaines. On n’a pas fini de découvrir l’importance du rôle joué par cet immense anthropologue dans le développement de la recherche historique en Algérie, et tout le travail qu’il a accompli ou fait accomplir à ses équipes. La conférence a été intitulée : « Béjaïa, Porte Ouverte sur la préhistoire de l’Algérie ». C’est Béjaïa au temps de la préhistoire. La conférence a tourné autour de la période dite du quaternaire. Une période propre à l’émergence de l’Homme. Le conférencier a, dès le début de sa communication, regretté « le peu d’engouement » du mouvement associatif sur l’importance de la préhistoire dans la région de Béjaïa et ailleurs. « Il y a beaucoup d’associations qui s’occupent de l’Histoire, mais rares sont celles qui s’intéressent à la Préhistoire. Pour preuve, l’université de Béjaïa avait organisé, en 2012, une conférence sur l’histoire de la région et avait totalement occulté le côté préhistorique. Pourtant, il est important de lever le voile sur cette période de notre histoire qui prouve que nous avons existé depuis des millénaires et que nous avons toujours été des autochtones. Notre appartenance à cette terre est attestée depuis les temps préhistoriques ». 
La Grotte d’Ali Bacha
Selon le conférencier, en 1902, un Français totalement étranger à la recherche préhistorique avait découvert dans la région de Béjaïa, précisément au lieu-dit « La Grotte d’Ali Bacha », des ossements datant des temps préhistoriques. « Le site avait été très mal fouillé, et les techniques utilisées étaient totalement inadéquates. Mais, les fouilles ont quand même eu le mérite d’avoir été faites, malgré les insuffisances dont elles ont souffert. Le découvreur du site, André de Bruges, a été entièrement rejeté par les sociétés savantes françaises de son époque. Ce qui l’a obligé à publier ses travaux dans une revue allemande, en 1927 », a-t-il précisé. Puis, poursuit-il,  « des Américains se sont intéressés à ses découvertes. Les objets ainsi déterrés se trouveraient encore aujourd’hui aux USA, au musée du Bardot à Alger et à celui de Constantine ». D’après lui, les outils découverts dans cette grotte font remonter l’histoire de la région à deux cents mille ans, à une civilisation dite moustérienne. « En examinant plus en détail ces outils, on découvre que le Moustérien utilisait des objets emmanchés. C’est-à-dire que l’homme de cette époque ne se contentait pas d’utiliser des pierres et du bois à l’état naturel, mais qu’il fabriquait lui-même des outils composés de pierres aiguisées et d’un manche en bois. Ce qui démontre une certaine prédétermination de ce qu’il désirait faire. Il pré-visualisait ce qu’il voulait et se donnait les moyens de le réaliser. Cela remonte à dix mille ans. Dans le Tassili, il y a des traces de la plus ancienne céramique de l’Histoire. Dans la grotte d’Ali Bacha, les fouilles ont montré l’existence d’une installation métallurgique rare pour cette époque, avec une présence de bronze. On a aussi trouvé des traces d’animaux inconnus ailleurs, tel le Bibalus Antiqus et des Antilopes datant de dix mille ans. Dans le Tassili des Azdjer, on a trouvé aussi un cimetière animal de près de quatre-vingts hectares. Les animaux étaient coupés en quatre parties et enterrés selon un rituel précis. Il y a cent mille ans, cette région d’Ali Bacha a connu une culture et une civilisation humaine importantes. L’Homme d’Ali Bacha est un Mechtoïde de Mechta Afalou. Il y a des dolmens et des stèles, couverts de mégalithes pour le démontrer et le prouver » a t-il détaillé. 
Grottes d’Afalou Bourmel
Vers 1927-30, sur la route des falaises reliant les villes de Béjaïa et de Jijel, dans la commune de Melbou, on a trouvé une série de grottes allant jusqu’à Taza. « Malheureusement, ces grottes sont devenues de véritables poubelles, sans que personne n’en prend soin, ni ne les valorise. Que font les associations et les autorités concernées à ce sujet, a demandé le conférencier. La moindre des choses serait de les protéger », se désole l’intervenant. Nadjib Ferhat a raconté, à titre d’exemple, qu’un chef de daïra lui avait demandé de lui remettre une pierre datant de plus de vingt mille ans pour décorer son bureau. D’où l’état d’inconscience des responsables de l’administration et des élus, qui ne semblent faire aucun cas de la richesse préhistorique que renferme notre pays. « Dans ces grottes, cinquante-trois squelettes d’Homo Sapiens ont été découverts. En mille neuf cents quatre-vingt-trois, Mouloud Mammeri avait chargé Slimane Hachi d’y faire des fouilles. Les découvertes qui y avaient été faites montrent que les crânes de ces squelettes avaient été badigeonnés d’Ocre rouge. Ce qui montrait que l’homme d’Afalou Bourmel savait déjà prendre soin de son apparence, et avait la croyance qu’après sa mort, il y avait encore une vie, d’où la nécessité de se présenter sous sa meilleure apparence possible. Il fallait donc accompagner le mort par un rituel. On y a également trouvé des pierres et des dents d’animaux percées, servant à confectionner des pendentifs. Les fouilles ont permis aussi la découverte de nombreuses figurines en argile. C’est un geste d’art et de production qui était différent de celui de réalisation d’objets répondant aux besoins de survie. L’homme d’Afalou était, semble-t-il, passé à un stade supérieur de sa vie. S’élevant au-dessus de la production des biens de consommation à celui de produits culturels. Béjaia détient le plus ancien ancrage des manifestations culturelles de la région africaine et méditerranéenne. Cet homme participait à l’avulsion dentaire. C’est-à-dire l’extraction dentaire pure et simple. Le premier dentiste de l’Histoire, serait-il Bougiote? », s’est-il interrogé
L’homme d’Afalou Bourmel
Il y a quelques années, un laboratoire français, avec l’aide des services techniques de la gendarmerie française, a entrepris de faire la reconstitution du visage de l’homme d’Afalou Bourmel. « Le résultat a été stupéfiant. Il ressemble à monsieur tout le monde d’aujourd’hui. Il était tout simplement un des nôtres. A moins que ça soit nous qui soyons un des leurs. L’homme d’Afalou Bourmel est donc un Iberomaurusien. Son existence est datée d’il y a treize mille ans. A cette époque, il était à l’aube de quelque chose de fondamental. Les outils qu’il développait montrent qu’il avait su inventer la scie et la faucille pour arracher des herbes. C’était le tout début du néolithique, la période de l’invention de l’agriculture. L’homme venait de passer par la révolution du néolithique, passant de la pierre taillée à la pierre polie. Il avait la maîtrise technologique de son environnement par la finesse des objets fabriqués. Cette culture a ensuite été retrouvée dans l’ensemble du pourtour méditerranéen », a-t-il expliqué.
Valorisation du patrimoine archéologique
Les découvertes faites en Algérie, que ce soit à la grotte d’Ali Bacha, dans celles d’Afalou Bourmel ou à Ain Lahnèche, près d’El Eulma, ont besoin d’être valorisées. Elles sont la preuve de notre présence sur cette terre depuis la nuit des temps. Le site d’Ain Lahnèche constitue la plus ancienne datation de toute l’Afrique, remontant à près de deux millions d’années. « Notre présence sur cette terre est attestée depuis cette époque, et nous ne l’avons jamais désertée. La fabrication des objets et outils retrouvés montre la présence de l’Homo Habilis, l’homme habille de ses mains. Celui qui savait fabriquer, construire, développer. La finesse des objets retrouvés montre combien il était précis et méticuleux dans son travail. La plus ancienne trace de la création du feu par l’homme est localisée à Mascara. Elle date de cinq cents mille ans » a-t-il encore attesté. 
D’autres secrets à découvrir 
L’existence de toutes ces grottes dans la région de Béjaïa a permis à l’homme d’y vivre et d’y prospérer. Elles renferment certainement encore plein de secrets qui restent à découvrir. Le néolithique des Aiguades existe. Il y a plein de grottes inexplorées dans cette région, y compris une grotte sous-marine qui reste encore à explorer de manière scientifique et rationnelle. Malheureusement, les budgets alloués à la recherche archéologique restent loin de satisfaire les besoins du secteur. Il y a des carences dans la prise en charge de ce patrimoine scientifique et culturel. Les fouilles coûtent très cher, tant en personnel qu’en logistique. Il appartient au mouvement associatif de faire des pressions pour pousser les autorités culturelles et scientifiques de se pencher sur ce secteur. Ceux qui attendent que le ministère de la Culture réagisse se trompent. La solution ne viendra pas d’en haut. C’est ici qu’il faudra mener le combat. Le tissu associatif doit en prendre connaissance et se mettre au travail. 
Des trésors à récupérer
A l’heure actuelle, les trésors découverts à Béjaïa et dans sa région se trouvent à Alger et ailleurs. En dehors de leur déplacement pour études et analyses, les objets archéologiques doivent être conservés sur le lieu de leur découverte. Où sont les figurines et les squelettes d’Afalu Bourmel ? Où sont les outils et les produits fabriqués par nos ancêtres ? Où se trouve le Cavalier de Chemini ? Il est urgent de restituer à Béjaïa son trésor archéologique détenu ailleurs. Des conférences publiques de sensibilisation et de vulgarisation devront être organisées afin de faire prendre conscience à la population de la richesse qui est la sienne. Les sites des Aiguades, d’Ali Bacha, des grottes d’Afalou Bourmel, de Tiklat et Tubusuptu, ainsi que d’autres encore devront être préservés. Et seule la société civile, consciente et convaincue, pourrait le garantir. En fin de compte, notre hypothèse de départ sur l’existence de l’Homo Bgaïticus se trouvera-t-elle confirmée ?
N. Si Yani

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