Quatre ans sans sa fille, séquestrée par son père dans un palais saoudien - Le Nouvel Observateur
Quatre ans sans sa fille, séquestrée par son père dans un palais saoudien
Créé le 27-01-2012 à 18h26 - Mis à jour le 28-01-2012 à 13h09 14 réactions
Sattam a envoûté Candice, avant de la retenir dans son royaume avec leur fille. La mère a réussi à s'échapper. Récit d'une affaire devenue diplomatique.
Candice Ahnine-Cohen, avec sa fille, Aya, en 2008. (DR)
Mots-clés : prince, saoudien, enlèvement, enfant, Arabie saoudite, Candice Ahnine-Cohen
C'est une ombre sur la belle entente franco-saoudienne. Un conflit conjugal à hauts risques où l'amour se mêle à l'argent, à la politique et à la religion. Elle est française, juive, sans grande fortune. Il est saoudien, prince héritier de la famille fondatrice du royaume. Au bras de son altesse Sattam al-Saoud, Candice Ahnine-Cohen a vécu un conte de fées oriental, qui, peu à peu, s'est transformé en film noir.
Privée de sa fille depuis 2008
Depuis l'automne 2008, la jeune femme est privée de sa fille, Aya, aujourd'hui âgée de 10 ans. Son père la retient dans son palais à Riyad. Jusqu'ici, rien n'a pu lui faire entendre raison, ni la pression des diplomates, ni les discrètes interventions menées auprès du roi d'Arabie saoudite, de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et du président de la République.
"Qu'en ai-je à faire de Sarkozy ?, disait le prince. S'il le faut, j'irai comme Ben Laden me cacher dans les montagnes avec Aya." Après trois ans de combats, Candice a obtenu une première victoire. Le 12 janvier, le tribunal de grande instance de Paris lui a accordé la garde entière de sa fille. "Il faut y croire, souffle la mère. Sinon, la vie s'arrête."
Et dire qu'à 20 ans elle était si belle. En un regard ou presque, Sattam l'avait transformée. C'était en juillet 1997, lors de vacances à Londres entre cousines. Il s'assoit dans ce club chic, le Brown's, longue silhouette, port de tête altier. Autour de lui, toute une cour, copains d'études anglais et saoudiens, chauffeurs, gardes du corps...
"Offert par le prince Sattam"
Candice est là, poupée candide et dorée. Un serveur lui porte un magnum de Cristal Roederer : "Offert par le prince Sattam." Il y aura aussi des brassées de roses, une virée McDonald's en Jaguar, un dîner dans le restaurant favori de Lady Di... Candice se laisse séduire, loin de ses soucis d'orientation depuis ce bac raté, des petits boulots dans les sandwicheries de son père.
Sattam a 20 ans comme elle et vit au gré de ses affaires, mystérieuses, entre ses palais saoudiens, Londres, Beyrouth, Le Caire... Il dit qu'il est fou d'elle et il ajoute : "Rien ne s'oppose à notre amour puisque je suis juif. Mais chut, c'est un secret de famille." Candice est envoûtée. Sa nouvelle vie est faite de longues absences, et d'appels salvateurs quand le business est fini : Rejoins-moi."
Palaces, shopping, bringues, champagne et coke à volonté
Extase, palaces, shopping, bringues à tout casser, champagne et coke à volonté. Elle succombera à tous les mirages : " On était tout l'un pour l'autre, des frangins, des amis, des amants. " Quand il est là, Sattam sort le grand jeu, chansons d'amour, poèmes, billets pour Ibiza posés sur la couette : "Le soleil te manque ma chérie." Parfois, le prince parle de son envie de vivre libre, loin du royaume et de ses faux-semblants.
En vacances à Cannes, il appelle le père de Candice "papa", met la kippa pour shabbat, prépare les brochettes à la libanaise. Soirées magiques et paroles de miel qui effacent les absences et les épisodes sombres, comme cet avortement imposé à Candice, au Caire, peu de temps après leur rencontre.
Aya, "le miracle" en hébreu
En 2001, nouvelle grossesse, cette fois, le prince est ravi. Mais le jour de l'accouchement, pas de Sattam. Candice tente de le joindre, appelle sa mère, Mme Al-Saoud. "Quoi ?, répond-elle, un enfant ? Tu ne peux pas nous faire ça !" Plus tard, Sattam finit par débarquer, les yeux injectés de sang : il sort de discothèque. "Il n'y a de Dieu que Dieu, et Mohammed est son prophète ", murmure-t-il au-dessus du berceau. A la mairie d'Hyères, le prince déclare sa fille, Aya, "le miracle" en hébreu.
Finie la fiesta, Candice vit chez ses parents, Sattam est reparti. Son rôle de père se limite à des virements de 5.000, 10.000, 20.000 euros selon les mois. Le couple connaît encore des parenthèses enchantées - des vacances à Beyrouth, et même une tentative de vivre là-bas, puis un séjour à la cour d'Arabie saoudite. Aya, alors âgée de 5 ans, est présentée au roi. Son père annonce à Candice : "J'ai un problème, on me demande d'épouser ma cousine."
"Si tu ne reviens pas, je te bute"
La fille du futur prétendant au trône doit permettre de redorer le blason de la famille de Sattam, qui traîne la réputation de n'engendrer que des ratés. Le prince voudrait garder Candice comme seconde épouse. Elle hurle, puis refuse ses avances : il la viole. "En islam, une bonne épouse doit satisfaire tous les besoins de son mari, dit la belle-mère. Allez, maintenant, tu dois partir et nous laisser Aya."
Candice réussit à rapatrier sa fille en France. "Si tu ne reviens pas, je te bute", gronde le prince. La mère enregistre les menaces et dépose plainte pour harcèlement. Aya fête ses 6 ans, l'année scolaire passe, Sattam réapparaît, doux comme un agneau : "Pardonne-moi, j'ai changé." Il s'excuse auprès des parents de Candice, emmène Aya à Eurodisney, l'appelle tous les jours. Même Mme Al-Saoud l'assure : "Dès qu'il le pourra, il divorcera, il t'aime." Candice tombe dans le panneau. A la fin de l'été 2008, Sattam la supplie de venir en Arabie saoudite "rien qu'une semaine". Malgré les avertissements de sa famille, de ses amis, elle cède. Et dès l'atterrissage à Riyad, le piège se referme.
Message Facebook : "Aidez-moi, je suis séquestrée avec ma fille…"
Aya est conduite au palais, sa mère jetée dans une petite chambre isolée. "Sale juive, pourriture", crache la sœur de Sattam avec qui Candice dansait jadis. Grâce à son portable, miraculeusement conservé, la jeune femme envoie un message sur Facebook : "Aidez-moi, je suis séquestrée avec ma fille de 6 ans en Arabie Saoudite. SVP contactez ma famille au .."
Le Quai-d'Orsay est alerté mais le consul alors en poste à Riyad rapporte qu'il s'agit d'une banale affaire de divorce entre un prince et une petite Française cupide. Personne ne sait que la diplomate, amie de la famille de Sattam, tente de convaincre Candice d'abandonner sa fille. "Tu sais, ça coûte cher d'élever un enfant", ose-t-elle.
La mère, aidée par une bonne philippine, parvient à s'échapper et gagne l'ambassade de France. S'il n'y avait toutes ces preuves enregistrées - les menaces de sa belle-famille, les vidéos d'Aya en larmes -, qui aurait cru à son histoire ? "On l'écoutait ahuris, avec l'impression de vivre un remake de 'Jamais sans ma fille'", se souvient-on à l'ambassade. Candice n'a pas lu le livre de Betty Mahmoody mais elle répète, anéantie par la culpabilité :
Je ne partirai pas de ce pays sans mon enfant."
Grâce à internet, elle alerte les médias, les autorités juives de France, la terre entière... A Paris, on craint l'embrasement, Candice est priée de se taire et de regagner le palais des Al-Saoud, le temps de laisser agir les diplomates. Sous leurs pressions, ses conditions de vie s'améliorent. Elle a même droit à du shampooing, et quelques échanges avec sa fille. "Maman, on m'interdit de t'appeler maman, sanglote l'enfant. Ils disent que tu es folle."
L'éducation d'Aya, qui n'interdit pas les brimades, est assurée par les sœurs et la mère de Sattam. Lui n'apparaît que le jour de la médiation organisée au ministère des Affaires étrangères saoudien, en janvier 2009. Il tombe dans les bras des parents de Candice, venus de Paris avec un magistrat spécialiste des enlèvements d'enfants. "Papa, maman, comment ça va ?" Bon prince, il est même prêt à offrir à son ex-compagne une vie de rêve, mais à Riyad : "Aya reste ici." Les diplomates observent, désolés, ce môme de 1,96 mètre aux pupilles étrangement dilatées dicter sa loi.
La peine capitale
Pour quelques minutes hebdomadaires avec sa fille, Candice retourne chez ses geôliers. Sans doute y serait-elle encore si la famille de Sattam n'avait sorti l'artillerie lourde : un document attestant que Candice a renié la religion musulmane pour se convertir au judaïsme. Pour ce "crime", la jeune femme risque la peine capitale. Cette fois, elle n'a plus le choix.
Avant de rejoindre Paris, en juin 2009, elle a pu mettre au point un code avec Aya : si l'enfant voyage au Liban, elle dira que le soleil est vert. Depuis ce jour, Candice survit grâce aux quelques échanges téléphoniques avec sa fille, consentis par la famille princière. Un jour, le soleil est annoncé vert. Candice prévient le Quai-d'Orsay, et s'envole, avec une barbouze, pour Beyrouth. Après quelques jours de planque, elle aperçoit Aya. Trois secondes de bonheur, avant qu'un garde du corps empoigne l'enfant. Retour à la case départ.
La France contre le royaume saoudien ?
Candice flanche. Son avocate la lâche, ses parents se désespèrent, les fonctionnaires du Quai-d'Orsay sont las. "Allez, vous êtes jeune et jolie, pensez un jour à refaire votre vie...", suggère l'un d'eux.
Sur Facebook, la mère voit Aya poser en burqa et jouer avec les armes de son père. Elle amasse les preuves, impuissante. Alerté par la communauté juive, le paparazzi Jean-Claude Elfassi la convainc d'écrire un livre ("Rendez-moi ma fille", Editions de l'Archipel) et de changer d'avocate. La bataille juridique continue au Liban et dans l'Hexagone, où Sattam, poursuivi pour séquestration, devrait faire l'objet d'un mandat de recherche international.
La France risquera-t-elle de se mettre à dos le royaume saoudien ? A Riyad, le père ne s'en fait pas. "La vie de mon enfant est ici, dit-il à "l'Obs", dans un anglais lustré. Je vous rappelle que ma fille est une descendante de la famille royale saoudienne." Comme si les princesses n'avaient pas le droit d'avoir une mère.
(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 26 janvier 2012)
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