L’ultralibéralisme sans les libertés - Actualité - El Watan
La chronique de Maurice Tarik Maschino
L’ultralibéralisme sans les libertés
le 14.03.12 | 10h00 1 réaction
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Mes dernières chroniques sur la démocratie, qui se meurt dans les pays européens, m’ont valu quelques réactions assez vives. Merci à ces lecteurs : rien ne vaut un débat pour affiner son propos. «Croyez-vous vraiment que les financiers qui régentent l’Europe m’obligeraient à épouser un cousin ?», demande Yasmina, étudiante à Constantine. «A Londres ou à Paris, objecte Kaddour, ingénieur à Médéa, serais-je obligé de me cacher pour déjeuner pendant le Ramadhan ?»
Les uns et les autres, nous ne parlons pas des mêmes réalités. En constatant l’agonie de la démocratie, j’avais en vue un système politique qui fonctionne désormais à vide. Les citoyens votent, mais les dirigeants qu’ils élisent n’ont pratiquement aucun pouvoir : ce sont les marchés qui décident. Et les principes de l’ultralibéralisme gèrent de plus en plus les institutions car soumis à l’exigence de rentabilité ; écoles, hôpitaux, centres sociaux appliquent de plus en plus les règles de l’entreprise privée et les entreprises elles-mêmes, uniquement soucieuses d’accumuler des profits, émigrent vers des pays «accueillants». Dans tous les domaines, l’économique impose sa loi au politique et au fonctionnement de la société.
Quelles libertés conservent les citoyens ? Celles qui ne gênent en rien les marchés et qui sont évidemment très appréciables. Toutes sont issues de la fin du système patriarcal et de la séparation des pouvoirs politiques et religieux – une séparation décisive pour l’émergence des libertés, qu’a rendue possible la conjugaison d’au moins trois facteurs : la révolution de 1789, le combat idéologique des intellectuels du siècle des Lumières, la lutte des travailleurs. A partir du moment où le pouvoir religieux n’intervient plus dans les affaires de la cité, où les machines à fabriquer de l’identique, de la soumission, du conformisme – l’Eglise, la famille, le service militaire obligatoire – n’interviennent quasiment plus dans la formation des individus, les citoyens ont les coudées franches pour élargir, en luttant, le champ de leurs libertés. Ainsi, les Européens bénéficient-ils de toutes sortes de libertés : liberté d’aller et venir, liberté de penser, liberté d’expression, liberté de croire ou de ne pas croire, de se marier ou de vivre en union libre, d’épouser le conjoint de son choix, même s’il est du même sexe – ce qu’admettent la plupart des pays européens, excepté la France, pour l’instant –, liberté d’avoir plusieurs nationalités. Tout ce qui ne contrarie pas les maîtres du marché est du domaine de l’initiative individuelle.
Cela dit, bien des résistances se manifestent ; la lutte pour la sauvegarde et l’extension de ces libertés est aussi nécessaire qu’autrefois – les femmes, pour bien des hommes, restent des proies et leur accession à des fonctions directoriales est toujours difficile ; les étrangers se heurtent à toutes sortes d’obstacles ; nationalisme, chauvinisme, racisme continuent de corrompre de nombreux secteurs des sociétés européennes. Le primat du marché, enfin, entraîne la disparition de plus en plus rapide du lien social, l’abandon à la misère et au désespoir de fractions de plus en plus larges de la population : travailleurs jetés à la rue après 30 ans de présence dans une entreprise qui se délocalise, chômeurs en fin de droits condamnés à vivre avec 450 euros par mois, personnes âgées dont personne ne s’occupe... Sans parler de ceux qui travaillent mais n’ont plus les moyens de se loger et dorment dans leur voiture ou sous les ponts – près de 300 000, estime-t-on, en France.
L’injustice est la caractéristique principale des sociétés «démocratiques» et de moins en moins de citoyens ont la possibilité de jouir des libertés dont, théoriquement, ils bénéficient. Que représentent la liberté d’expression pour quelqu’un qui n’a même pas un toit pour s’abriter, la liberté de choisir son conjoint pour quelqu’un qui dort sous une porte cochère, la liberté de voyager pour quelqu’un qui ne peut pas s’acheter un billet de métro ?
La chronique de Maurice Tarik Maschino
L’ultralibéralisme sans les libertés
le 14.03.12 | 10h00 1 réaction
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Mes dernières chroniques sur la démocratie, qui se meurt dans les pays européens, m’ont valu quelques réactions assez vives. Merci à ces lecteurs : rien ne vaut un débat pour affiner son propos. «Croyez-vous vraiment que les financiers qui régentent l’Europe m’obligeraient à épouser un cousin ?», demande Yasmina, étudiante à Constantine. «A Londres ou à Paris, objecte Kaddour, ingénieur à Médéa, serais-je obligé de me cacher pour déjeuner pendant le Ramadhan ?»
Les uns et les autres, nous ne parlons pas des mêmes réalités. En constatant l’agonie de la démocratie, j’avais en vue un système politique qui fonctionne désormais à vide. Les citoyens votent, mais les dirigeants qu’ils élisent n’ont pratiquement aucun pouvoir : ce sont les marchés qui décident. Et les principes de l’ultralibéralisme gèrent de plus en plus les institutions car soumis à l’exigence de rentabilité ; écoles, hôpitaux, centres sociaux appliquent de plus en plus les règles de l’entreprise privée et les entreprises elles-mêmes, uniquement soucieuses d’accumuler des profits, émigrent vers des pays «accueillants». Dans tous les domaines, l’économique impose sa loi au politique et au fonctionnement de la société.
Quelles libertés conservent les citoyens ? Celles qui ne gênent en rien les marchés et qui sont évidemment très appréciables. Toutes sont issues de la fin du système patriarcal et de la séparation des pouvoirs politiques et religieux – une séparation décisive pour l’émergence des libertés, qu’a rendue possible la conjugaison d’au moins trois facteurs : la révolution de 1789, le combat idéologique des intellectuels du siècle des Lumières, la lutte des travailleurs. A partir du moment où le pouvoir religieux n’intervient plus dans les affaires de la cité, où les machines à fabriquer de l’identique, de la soumission, du conformisme – l’Eglise, la famille, le service militaire obligatoire – n’interviennent quasiment plus dans la formation des individus, les citoyens ont les coudées franches pour élargir, en luttant, le champ de leurs libertés. Ainsi, les Européens bénéficient-ils de toutes sortes de libertés : liberté d’aller et venir, liberté de penser, liberté d’expression, liberté de croire ou de ne pas croire, de se marier ou de vivre en union libre, d’épouser le conjoint de son choix, même s’il est du même sexe – ce qu’admettent la plupart des pays européens, excepté la France, pour l’instant –, liberté d’avoir plusieurs nationalités. Tout ce qui ne contrarie pas les maîtres du marché est du domaine de l’initiative individuelle.
Cela dit, bien des résistances se manifestent ; la lutte pour la sauvegarde et l’extension de ces libertés est aussi nécessaire qu’autrefois – les femmes, pour bien des hommes, restent des proies et leur accession à des fonctions directoriales est toujours difficile ; les étrangers se heurtent à toutes sortes d’obstacles ; nationalisme, chauvinisme, racisme continuent de corrompre de nombreux secteurs des sociétés européennes. Le primat du marché, enfin, entraîne la disparition de plus en plus rapide du lien social, l’abandon à la misère et au désespoir de fractions de plus en plus larges de la population : travailleurs jetés à la rue après 30 ans de présence dans une entreprise qui se délocalise, chômeurs en fin de droits condamnés à vivre avec 450 euros par mois, personnes âgées dont personne ne s’occupe... Sans parler de ceux qui travaillent mais n’ont plus les moyens de se loger et dorment dans leur voiture ou sous les ponts – près de 300 000, estime-t-on, en France.
L’injustice est la caractéristique principale des sociétés «démocratiques» et de moins en moins de citoyens ont la possibilité de jouir des libertés dont, théoriquement, ils bénéficient. Que représentent la liberté d’expression pour quelqu’un qui n’a même pas un toit pour s’abriter, la liberté de choisir son conjoint pour quelqu’un qui dort sous une porte cochère, la liberté de voyager pour quelqu’un qui ne peut pas s’acheter un billet de métro ?
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