A. Abboute : L’Algérie a ratifié avec réserve des textes internationaux
Mots clés : bouteflika, algerie, Répression, liberté, Expression
Par Le Matin DZ | 12/06/2012 14:33:00 | 2004 lecture(s) | Réactions (1)
M. Arezki Abboute, coordinateur de la Maison des droits de l’Homme et du citoyen Tizi-Ouzou, et membre du comité directeur de la LADDH, nous l’avons rencontré et il nous a livré ses impressions sur l’application de l’Algérie des textes onusiens de protection des droits humains, et des dispositifs nationaux de protections des droits de l’Homme en Algérie depuis 1991.
Abboute Arezki.
Le Matindz : "Les conventions internationales entre ratification et application" est le thème du colloque organisé par votre Ligue au profit des professionnels du droit. Pourquoi le choix de ce thème ?
Arezki Abboute : Avant de répondre à votre question, je voudrais d’abord, si vous le permettez, rappeler que ce colloque a été organisé dans le cadre d’un projet visant à renforcer les capacités de la société civile dans le domaine de la pratique démocratique et des droits humains dans les wilayas de Tizi-Ouzou et de Béjaia. Il est cofinancé par la Commission européenne et la Fondation pour le Futur. Dans ce même cadre, nous avons également pu mettre en oeuvre, le 3 février 2012, un autre colloque au bénéfice d’une vingtaine d’élus locaux de ces deux wilayas et où furent présentées quatre communications ayant pour thèmes : La décentralisation, la bonne gouvernance, la médiation, le rôle de l’APC dans le développement local.
Concernant celui qui vient de se tenir à Alger, les 25 et 26 mai 2012, et qui fut suivi par une trentaine de participants entre avocats et autres juristes, j’avoue que ni la date ni le thème n’ont été le fait du hasard. Car, comme vous le savez certainement, l’Algérie a présenté son rapport sur la situation des droits de l’homme devant le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, à Genêve, le 28 mai 2012, soit deux jours après l’organisation de notre colloque. Nous avons donc pensé qu’il ne serait pas sans intérêt de "mettre entre les mains" de quelques jeunes avocats et autres jeunes juristes, des outils pour les aider à mieux saisir l’importance de la ratification des traités internationaux relatifs aux droits humains et, surtout, le rôle que peuvent jouer les organes de suivi de ces traités dans le respect, la protection et la promotion de ces droits. D’où le choix de la date et celui des thèmes des communications qui ont été programmées : "les mécanismes onusiens de protection des droits de l’homme, les organes de suivis des traités, la procédure de saisine de ces organes, les rapports alternatifs".
Malgré la ratification, par l’Algérie, de plusieurs pactes internationaux relatifs aux droits de l’Homme, le recours à ces textes reste très insuffisant quand il n’est pas totalement ignoré. Quel est votre commentaire ?
C’est vrai que l’Algérie a ratifié la plupart des textes internationaux relatifs aux droits humains (Pacte International relatif aux Droits civils et Politiques, celui relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels, la Convention contre la torture, celle sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes... mais il ne faut pas perdre de vue non plus que certains de ces textes ont été ratifiés avec des réserves ou des déclarations interprétatives, ce qui limite considérablement leur portée. C’est le cas, notamment, de la Convention Internationale relative aux droits de l’Enfant (articles: 13, 14, 16 et 17), de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (articles: 2, 9, 15, 16 et 29 paragraphes : 2, 4et 1), de la Convention pour la prévention et la répression du crime de Génocide (articles : 6, 9, 12)...
Ceci étant rappelé, et pour revenir à votre question, je crois franchement qu’il faut relativiser un peu votre affirmation quand vous dites que le recours à ces traités est totalement ignoré. En effet, si effectivement, de par un passé très récent, il était insuffisamment fait référence à ces traités dans différentes juridictions algériennes, aujourd’hui, je pense sincèrement que les choses sont en train d’évoluer très rapidement, et cela grâce aux financements de nombreux projets par la Commission Européenne, de certaines Ambassades et autres Fondations (Fondation Frédrich Ebert, Fondation pour le Futur...) qui ont beaucoup investi dans la formation de militants et autres cadres associatifs.
Comment évaluez-vous les dispositifs nationaux de protection des droits de l’homme ?
Lorsqu’en juin 1991, dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali, fut créé un ministère délégué aux droits de l’homme confié à Mr Ali Haroun, je pensais sincèrement que cela inaugurait une ère nouvelle, une ère où la démocratie ne serait plus une utopie et où les trente années de parti unique et inique, de corruption et de torture, ne seraient plus que de l’histoire ancienne.
Hélas, cela ne sera pas le cas ! Car, moins d’une année après, le ministère délégué, entre-temps devenu ministère des droits de l’homme en octobre 1991, fut tout simplement supprimé, en février 1992. Le rêve d’une nation respectueuse des libertés fondamentales s’était envolé pour laisser place à un cauchemar qui semble ne plus vouloir se terminer. Durant la même année, fut décrétée l’état d’urgence, qui était resté jusqu’au début de l’année 2011, permettant ainsi à l’Etat de restreindre quand il ne suspend pas totalement certaines libertés qu’il juge menacer l’ordre public, comme la liberté de manifester, par exemple.
C’était également dans cette même atmosphère, et au cours de ce même mois de février 1992, que fut créé, par décret présidentiel, l’Observatoire national des droits de l’Homme (en remplacement du ministère des droits de l’homme ?) avant d’être lui-même remplacé par la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’Homme (CNCPPDH) portée plus sur la promotion de la reconciliation nationale du président Bouteflika que sur les nombreuses violations des droits humains abandonnées presqu’au seul mouvement associatif .
Aujourd’hui encore, et bien que l’état d’urgence soit normalement levé, Alger reste toujours interdite aux manifestations même pacifiques, ce qui ne semble pas préoccuper la Commission présidée par M. Farouk Ksentini et qui me fait douter sérieusement de son indépendance. Vous comprenez donc pourquoi je ne peux, malheureusement, conclure qu’en soulignant l’inefficacité de tels dispositifs.
Propos recueillis par Madjid Serrah
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