Les dépenses vaines d’une Algérie « anomalie maghrébine »
Immobilisme et réformisme velléitaire
Khaled Ziri
Mardi 17 Juillet 2012
“The last dictature of the Maghreb, that how we call Algeria”. En une phrase toutes les amabilités occidentales qui se déversent sur une Algérie « stable », « riche » et « démocratique » sont effacées. Elle a été entendue à plusieurs reprises dans des think-tanks qui scrutent notre région et souvent sous l’approbation silencieuse mais évidente de diplomates. « La dernière dictature du Maghreb, c’est ainsi que nous appelons l’Algérie ».
Le constat n’est pas forcément rigoureux. La Tunisie transite encore, le Maroc a un gouvernement islamiste mais il n’y a pas beaucoup de marocains pour considérer que leur pays est une démocratie. Mais l’expression a bien du sens : le régime algérien est tellement immobile, figé que même ceux qui sont prêts à toutes les contorsions admettent qu’il fait « glacis » dans un Maghreb politique qui bouge ou, au moins, fait mine de bouger. Dans le grotesque épisode d’achat pour 1,6 millions d’euros de suppléments publicitaires dans le Monde et d’autres publications internationales très chics certains sont tentés de voir un message subliminal du régime : tout s’achète même des journaux de référence ! L’affaire serait surement passée inaperçue s’il n’y avait eu un hoquet d’indignation sincère de la société des rédacteurs du quotidien parisien suivi d’une mise au point très hypocrite de la direction du Monde (nous publions plus bas, le commentaire édifiant d’un connaisseur qui signe Le soudanais, posté après un article de Rue 89 sur ce jeu des journaux de «référence » *). Ces publi-reportages mal ficelés expriment bien le caractère suranné du mode de communication d'un vieil autoritarisme incapable de modernisation. C’est une vieillerie couteuse qui ne rapporte strictement rien en termes d’image et de notoriété. La ficelle est tellement grosse et tellement usée qu’on se prend parfois à chercher une forme de sophistication derrière cette démarche dispendieuse. Le régime nous enverrait à tous, journalistes ou non, opposants ou courtisans, le message subliminal suivant : tout s’achète même les prestigieux journaux de référence de la civilisation. Il suffit d’y mettre le prix. Mais, observent des persifleurs, indignés qu’on ne semble avoir rien compris depuis les années 70, le « régime montre qu'on peut tout acheter sauf la conviction du lecteur ». Et encore moins celle du lecteur de « qualité » dont l’approbation semble recherchée et qui, en une phrase, désigne l’Algérie comme le « frein », l’immobile mais plantureux « glacis » au cœur du Maghreb. Qui peut lire et accorder du crédit à des publi-reportages d’un autre âge ? Des étudiants en communication qui pourraient y trouver un contre-modèle parfait de techniques de communication ou, plus positivement, des archéologues de la presse, certainement enchantés de retrouver une trace d’usages que l’on croyait perdus dans les limbes du passé.
Reconstruire en interne, sinon rien !
Ce n’est pas ici, dans les colonnes de la Nation, qu’on trouverait une quelconque approbation des agendas occidentaux (lesquels ne tarissent pas d’éloges sur les capacités de l’armée algérienne pour mieux l’inciter à aller s’ensabler dans le nord du Mali). Mais s’il faut tirer une conclusion de l’affligeante affaire des suppléments publicitaires, c’est bien de souligner qu’une crédibilité ne s’achète pas, elle se construit. D’abord au plan interne et certainement pas dans les colonnes de ceux qui prennent votre argent en se pinçant hypocritement le nez. Or, dans cette dimension interne, rien ne bouge, tout est figé. Il y a eu une élection législative « trop gagnée » par les partis du pouvoir pour être un point de départ pour la remise en marche d’un pays placé en congélation politique depuis janvier 1992. Le régime ou certains compartiments du régime semblaient manifester des velléités de changement en raison des pressions externes liées à l’intrusion militaire de l’Otan en Libye et des événements en Syrie. Cette pression parait, en apparence, avoir baissé d’intensité pour se transformer en discours doucereux pour une intervention militaire algérienne au Mali que des journalistes algériens – il est vrai que les autorités ne se livrent même plus à des briefings qui étaient pourtant de mise il n’y a pas si longtemps - répercutent avec une consternante légèreté. Cette pression demeure. Et le label de « dernière dictature du Maghreb » risque de sortir des cercles restreints de Think-tanks pour aller vers cette « grande presse » où l’on se paye au prix fort des publi-reportages à l’ancienne…L’indécision qui prévaut en matière de changement risque d’être, à terme, très pénalisante. Cette indécision s’alimente de la défense d’intérêts particuliers et de la peur, elle se traduit par un pilotage automatique et la répression de basse intensité. Le problème est que le système en place, tout en ayant atteint un stade très avancé d’impotence, se caractérise par la complexité des intérêts qui le composent. S’il s’agissait de « rassurer » 500 personnes, la chose serait aisée. Or, derrière ces « 500 », il faut ajouter quelques 50.000 participants (chiffre arbitraire, seulement donné comme illustration) à la machinerie du système ou dans l’économie. Comment convaincre 50.000 bénéficiaires secondaires de la rente, qui dépendent des 500 personnages-clefs, qu’ils seront mieux protégés par la loi que par des influences, des protections ou des connivences ? En réalité, si on attend le « consentement » des 50.000, l’impulsion destinée à remettre le pays en marche n’arrivera jamais. Les élections législatives ont été, tant par l’abstention que par le résultat, un message très intelligible de la société aux détenteurs du pouvoir : vous disposez de tout le pouvoir, il vous appartient de démontrer la sincérité de vos intentions de faire évoluer votre système. Vers la reconstruction d’une crédibilité interne par l’adhésion libre des algériens à des institutions sérieuses dans le cadre de l’Etat de droit. A défaut, on dépensera vainement des budgets de contre-communication dans des journaux qui désignent déjà l’Algérie comme une « anomalie dictatoriale » au Maghreb…
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* Le commentaire du Soudanais
Sur l’indignation du Monde et sur la marche réelle du Monde
Hypocrisie quand tu nous tiens. Ces boites qui appartiennent à un secteur qui s’appelle les Special Advertising Sections (SAS) et qui fourguent des publi-reportages existent depuis des décennies, hier Noa, Vega Media, aujourd’hui les anciens employés ont lancés leur propre boite, Impact Media et autres AFA. Dans le milieu, on parle de « The Industry », avec un air mystérieux c’est encore mieux.
Le principe est simple, ces boites envoient des « journalistes » au nom du magazine commissionné (en France Le Monde ou Paris Match - édition internationale uniquement, ou encore The Economist, The Financial Times, Wall Street Journal et autres Times et Business Week, oui les plus grands noms...) dans un pays ; les équipes interviewent les plus grandes boites du pays, vendent en même temps de la pub et publient un reportage de x pages. Ces x pages ont été intégralement achetées au journal par la boite de SAS au prix normal en tant que pages de pub ; libre à la boite de SAS de facturer ensuite ces pages le prix qu’elle désire, et de faire une agréable culbute. Une page peut facilement atteindre 150,000 USD, alors qu’elle n’a été payée initialement que 10,000 USD. Comme les journalistes sont surtout payés à la com, je vous laisse imaginer le business. Alors oui les journaux tradis rechignent à voir leur image associées à ces hagiographies qui font l’impasse sur la politique ou le respect des droits de l’homme, mais ils ne crachent nullement sur la thune que ça leur rapporte.
Le soudanais
Sur l’indignation du Monde et sur la marche réelle du Monde
Hypocrisie quand tu nous tiens. Ces boites qui appartiennent à un secteur qui s’appelle les Special Advertising Sections (SAS) et qui fourguent des publi-reportages existent depuis des décennies, hier Noa, Vega Media, aujourd’hui les anciens employés ont lancés leur propre boite, Impact Media et autres AFA. Dans le milieu, on parle de « The Industry », avec un air mystérieux c’est encore mieux.
Le principe est simple, ces boites envoient des « journalistes » au nom du magazine commissionné (en France Le Monde ou Paris Match - édition internationale uniquement, ou encore The Economist, The Financial Times, Wall Street Journal et autres Times et Business Week, oui les plus grands noms...) dans un pays ; les équipes interviewent les plus grandes boites du pays, vendent en même temps de la pub et publient un reportage de x pages. Ces x pages ont été intégralement achetées au journal par la boite de SAS au prix normal en tant que pages de pub ; libre à la boite de SAS de facturer ensuite ces pages le prix qu’elle désire, et de faire une agréable culbute. Une page peut facilement atteindre 150,000 USD, alors qu’elle n’a été payée initialement que 10,000 USD. Comme les journalistes sont surtout payés à la com, je vous laisse imaginer le business. Alors oui les journaux tradis rechignent à voir leur image associées à ces hagiographies qui font l’impasse sur la politique ou le respect des droits de l’homme, mais ils ne crachent nullement sur la thune que ça leur rapporte.
Le soudanais
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