Libye: un attentat signé al-Qaïda
L’opération aurait été planifiée pour le 11 septembre, selon les services secrets américains
Claude Lévesque 13 septembre 2012 Actualités internationales
Photo : Agence France-Presse
«Les États-Unis s’opposent à toute tentative de dénigrer les croyances religieuses, mais nous nous opposons sans équivoque à cette violence insensée qui a coûté la vie à nos fonctionnaires», a déclaré mercredi à Washington Barack Obama, qui était accompagné par la secrétaire d’État, Hillary Clinton.
L’attentat contre le consulat américain à Benghazi porte la signature d’al-Qaïda, selon des responsables du renseignement à Washington. Sous le couvert d’une simple manifestation violente motivée par des sentiments religieux, il s’agirait d’une opération planifiée pour survenir le jour du onzième anniversaire des attentats de 2001 aux États-Unis.
« C’est l’hypothèse de travail en ce moment », selon un responsable américain cité par l’Agence France-Presse. « De toute évidence, on a la signature d’al-Qaïda », a affirmé le président de la commission du renseignement au Congrès, Mike Rogers, sur les ondes de CNN.
Les responsables libyens ont joint mercredi leur voix à celles du président Obama et de nombreuses personnalités du monde politique et diplomatique pour condamner l’attaque qui a coûté mardi la vie à l’ambassadeur américain en Libye et à trois autres diplomates au consulat des États-Unis à Benghazi.
C’est la diffusion en ligne de scènes d’un obscur film satirique sur le prophète Mahomet qui, ce soir-là, a servi de prétexte à des foules en colère pour prendre d’assaut cette mission diplomatique et l’ambassade américaine au Caire, la capitale égyptienne.
« Les États-Unis s’opposent à toute tentative de dénigrer les croyances religieuses, mais nous nous opposons sans équivoque à cette violence insensée qui a coûté la vie à nos fonctionnaires », a déclaré Barack Obama. Le président américain a promis que « justice [serait] faite ». La secrétaire d’État, Hillary Clinton, a qualifié de « petit groupe sauvage » les extrémistes qui ont donné l’assaut au consulat armés de roquettes et de lance-grenades.
Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Ban Ki-moon, a condamné l’attentat de Benghazi dans « les termes les plus fermes ». Le Conseil de sécurité de l’ONU se penchait justement hier sur un rapport décrivant la situation en Libye.
Ottawa s’est joint au concert d’indignation, le ministre des Affaires étrangères qualifiant l’attentat de mardi d’« attaque contre la diplomatie ». John Baird a exhorté le gouvernement libyen « à veiller à ce que les extrémistes responsables soient rapidement traduits en justice », de même qu’à prendre « les mesures nécessaires pour protéger les enceintes diplomatiques ».
Ottawa prendra de toute façon les choses en main, M. Baird ayant indiqué que son ministère allait réévaluer l’état de la sécurité de sa poignée de diplomates toujours en poste à Tripoli, la capitale libyenne. Le gouvernement canadien ne compte pas de représentation à Benghazi.
M. Baird et son ministère ont refusé de préciser s’ils envisageaient de rapatrier certains membres du corps diplomatique en Libye, ou ailleurs dans la région, notamment en Égypte.
En Libye, le président par intérim, Mohamed el-Megarif, a parlé d’un geste « lâche ». Il a présenté des excuses aux Américains, leur promettant d’appréhender les responsables. Le vice-premier ministre, Mustapha Abushagur, a dit que l’ambassadeur, Christopher Stevens, était un « ami de la Libye » et il a qualifié la tuerie d'« attaque contre l’Amérique, la Libye et les peuples libres du monde entier ».
Christopher Stevens avait d’abord travaillé au Maroc comme professeur d’anglais pour le compte du Peace Corps avant de se joindre au corps diplomatique américain, qui l’a affecté dans divers pays arabo-musulmans. Au printemps 2011, il a été dépêché à Benghazi comme représentant des États-Unis auprès des insurgés. Il avait déjà travaillé à l’ambassade américaine à Tripoli pendant les dernières années du régime de Mouammar Kadhafi.
Au Caire, une foule en colère a également protesté contre la vidéo sur Mahomet, mardi soir. Plusieurs personnes ont franchi le mur d’enceinte de l’ambassade américaine, réussissant à détruire le drapeau étoilé et à le remplacer par une bannière islamiste.
Le président égyptien, Mohamed Morsi, qui est issu de la mouvance des Frères musulmans, a demandé hier aux États-Unis de poursuivre les « fous » qui ont produit le film incriminé.
Intitulé Innocence of Muslims (L’innocence des musulmans), celui-ci est l’oeuvre d’un ressortissant israélo-américain vivant en Californie, Sam Bacile, qui dit avoir voulu dénoncer l’hypocrisie de la religion de Mahomet. Le prophète y est dépeint comme un être plutôt débauché. Après sa sortie en janvier, le film a été repris par le prédicateur évangéliste de la Floride, Terry Jones, qui avait déjà provoqué des émeutes dans le passé récent en brûlant publiquement des exemplaires du Coran. Il a ensuite connu une deuxième carrière sur YouTube à partir de juillet. Au début de septembre, il a été traduit en arabe, ce qui a incité des animateurs au Moyen-Orient à le dénoncer, avec les résultats qu’on connaît. Le fait que des chrétiens égyptiens aient participé à la promotion et à la version arabe de la vidéo a pu faire croire à certains musulmans qu’il s’agissait d’une conspiration judéo-chrétienne.
Les attaquants à Benghazi appartiennent vraisemblablement au groupe salafiste Ansar al-Charia. Les salafistes sont arrivés au deuxième rang lors des dernières élections en Égypte, mais ils n’ont obtenu que des scores médiocres en Libye.
Certains de ces groupes, qui ont participé à la révolution qui a terrassé le régime de Mouammar Kadhafi, possèdent toujours des armes de toutes sortes. Ces dernières semaines, ils ont détruit des tombes et des sanctuaires soufis dans plusieurs villes libyennes, à l’instar des intégristes qui ont pris le contrôle du nord du Mali.
« Il y a une concurrence entre, d’une part, cette idée portée par le printemps arabe qui veut que la priorité aille à la liberté et à la reconstruction des États sur des bases démocratiques et, de l’autre, des voix qui ne sont pas nécessairement amoureuses de la liberté, mais qui s’expriment néanmoins en profitant du fait que le système n’est plus verrouillé, croit Sami Aoun, professeur de science politique à l’Université de Sherbrooke. Dans le cas libyen, le paradoxe apparaît clairement. Le Parlement est en train d’élire un premier ministre : au deuxième tour, la lutte se fait entre un candidat qui a un penchant plutôt islamiste et un autre qui est plus libéral. Cela se produit alors même qu’un groupe qui n’a pas montré une grande représentativité aux élections […] pose un geste violent au nom de l’islam, en violant les traités et, surtout, en s’attaquant à un pays qui les a aidés à se libérer d’un régime dictatorial. »
Le spécialiste du Moyen-Orient évoque une « anarchie des fatwas » (décrets religieux) qui serait selon lui le fait de « prédicateurs autoproclamés […] qui prétendent parler au nom de l’islam et en avoir la meilleure interprétation, mais qui sont en train d’incriminer les autres musulmans ». En posant des gestes violents, ces extrémistes tombent dans le panneau de provocateurs, selon M. Aoun.
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Avec Marie Vastel
Avec l’AFP et l’Associated Press
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