Après un an au gouvernement, les islamistes marocains du Parti de la justice et du développement (PJD) ont été domestiqués par le Palais. Faut-il s’en étonner?
Le Premier ministre marocain Abdelilah Benkirane lors d'un déplacement à Malte, le 6 octobre 2012. REUTERS/Darrin Zammit Lupi
L'AUTEUR
Une déferlante d’articles de presse vient nous rappeler que le gouvernement marocain né de la nouvelle Constitution et dirigé par l’islamisteAbdelilah Benkirane souffle sa première bougie.
S’il ne s’agissait pas d’un marronier qu’affectionnent les journaux comme «les 100 jours de…», l’anniversaire de l’An 1 de Benkirane (qui compte aller jusqu’au bout de son mandat de cinq ans) serait passé inaperçu tant l’homme, jadis flamboyant et lutteur n’est plus que l’ombre de lui-même.
A-t-il suscité plus d’attentes populaires qu’il ne peut en satisfaire comme l’analyse Abdelmalek Alaoui? A-t-il été asphyxié par le rouleau compresseur d’une cohabitation asymétrique? Une brèche vers la séparation des pouvoirs entre le Palais et un gouvernement élu a-t-elle été ouverte? Est-il en un mot la victime expiatoire d’un système rénové dans lequel il milite pour une réelle refondation?
En réalité, tout l’édifice est vicié à la base. Et pour le prouver rien de tel que de tordre le cou à quelques idées reçues sur l’aventure gouvernementale des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD).
La situation est bien plus complexe en fait. Depuis 2007, le PJD creuse son sillon pour arriver aux affaires. Révolutions arabes ou pas, la chose était inéluctable tant les partis traditionnels, de gauche comme de droite – encore faut-il accepter cette vision de l’échiquier politique marocain - ont déçu l’opinion publique. Le Palais avait longtemps préparé son joker, le fameuxParti authenticité et modernité (PAM), une créature de Fouad Ali El Himma, un intime du Roi. Il a dû abandonner cette option conspuée par la rue.
La voie était donc libre pour le PJD qui, faut-il le rappeler était opposé à la contestation générale. Abdelilah Benkirane est un islamiste ultra-monarchiste. Rien à voir avec Rached Ghannouchi à Tunis ou Mohammed Morsi en Égypte qui sont tous deux arrivés au pouvoir en culbutant le tyran. Si le PJD a certes surfé sur la tornade de 2011, il est en réalité venu pour cautionner une continuité du régime, comme l’a fait en 1998 l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le grand parti de gauche après 40 ans d’opposition.
Des élections plus transparentes que les précédentes? Peut-être, mais «cependant conduites à l’ancienne, avec un mode de scrutin, un découpage électoral et un contrôle qui empêchent toute mauvaise surprise ultérieure», note l’éditorialiste d’Akhbar Al Yaoum.
On peut juste se dire que son populisme a mis de l’ambiance dans un landerneau politique connu pour son marasme. Avec le temps et l’habitude, les grandes envolées et les petites phrases de Benkirane ont laissé la place à un constat d’échec qui est certainement très palpables puisque ses principales promesses électorales n’ont pas été tenues.
Enfin, la technostructure, c’est-à-dire la caste des hauts fonctionnaires de l’administration (dont font partie certains ministres de la coalition) continue de recevoir directement ses directives des Conseillers du roi. Affaires étrangères– dont le dossier ultrasensible du Sahara ccidental -, économie et finances, agriculture, affaires islamiques, sécurité intérieure, armée, médias publics, gestion des grands projets – le TGV entre autres - constituent des dossiers qui échappent à la tutelle des islamistes.
Par ailleurs, le gouvernement hétéroclite agit en ordre dispersé: «La coalition gouvernementale n’est pas au top de sa forme. Avec son principal alliél’Istiqlal, le courant ne passe pas au point que leurs échanges se font par communiqués de presse interposés», constate le journal L’Economiste qui lui reproche «un bilan au passif inquiétant» et une incapacité «à marquer son territoire».
En simple rodage, le gouvernement n’a pas su donner une impulsion décisive à la soumission au Parlement des lois organiques censées mettre en application la nouvelle Constitution. Si le PJD a pu arracher le ministère de la Justice, traditionnellement chasse gardée du roi, ses actions ont été systématiquement contrecarrées. De nombreux militants du Mouvement du 20 février ont été jetés en prison suite à des procès politiques iniques, la pratique de la torture dans les prisons n’a pas été combattue, la presse subit toujours la répression etc...
Même constat sur la publicité sur l’alcool, ou sur la doctrine culturelle dite de «l’art propre», elles aussi remisées au placard.
Ce petit «effet Wikileaks» en interne n’a pas été suivi de décisions concrètes. Pire, ces listes auraient été préalablement expurgées de certaines personnalités. Les dossiers noirs de la Cour des comptes ont été confiés à un homme du sérail, Driss Jettou, nommé à la barbe de Benkirane au moment où le Roi lui même faisait valser une poignée de douaniers corrompus et expédiait à la case prison quelques patrons de grandes entreprises publiques soupçonnés de gabegie.
Une manière de signifier que dans ce rayon, comme dans celui du social, tout le bénéfice doit revenir au monarque et à lui seul. Benkirane n’a t-il pas dit lui-même que ce dossier était ardu et qu’il fallait laisser au temps le soin de l’assainir?
Jalal Ibrahimi
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S’il ne s’agissait pas d’un marronier qu’affectionnent les journaux comme «les 100 jours de…», l’anniversaire de l’An 1 de Benkirane (qui compte aller jusqu’au bout de son mandat de cinq ans) serait passé inaperçu tant l’homme, jadis flamboyant et lutteur n’est plus que l’ombre de lui-même.
A-t-il suscité plus d’attentes populaires qu’il ne peut en satisfaire comme l’analyse Abdelmalek Alaoui? A-t-il été asphyxié par le rouleau compresseur d’une cohabitation asymétrique? Une brèche vers la séparation des pouvoirs entre le Palais et un gouvernement élu a-t-elle été ouverte? Est-il en un mot la victime expiatoire d’un système rénové dans lequel il milite pour une réelle refondation?
En réalité, tout l’édifice est vicié à la base. Et pour le prouver rien de tel que de tordre le cou à quelques idées reçues sur l’aventure gouvernementale des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD).
1 - Il a été porté au pouvoir par les révolutions arabes
On le sait, les révolutions arabes ont forcé le roi Mohammed VI à jouer la carte de l’apaisement pour calmer la rue marocaine tentée par le soulèvement du Mouvement du 20 février. Son discours «historique» du 9 mars, promettant monts et merveilles aux Marocains, a étouffé l’incendie et lancé par étapes une nouvelle Constitution mitonnée au cœur du Palais, suivie d’un référendum express et d’éléctions anticipées. Une accélération de l’histoire en somme qui a permis à des islamistes en embuscade d’arriver au pouvoir.La situation est bien plus complexe en fait. Depuis 2007, le PJD creuse son sillon pour arriver aux affaires. Révolutions arabes ou pas, la chose était inéluctable tant les partis traditionnels, de gauche comme de droite – encore faut-il accepter cette vision de l’échiquier politique marocain - ont déçu l’opinion publique. Le Palais avait longtemps préparé son joker, le fameuxParti authenticité et modernité (PAM), une créature de Fouad Ali El Himma, un intime du Roi. Il a dû abandonner cette option conspuée par la rue.
La voie était donc libre pour le PJD qui, faut-il le rappeler était opposé à la contestation générale. Abdelilah Benkirane est un islamiste ultra-monarchiste. Rien à voir avec Rached Ghannouchi à Tunis ou Mohammed Morsi en Égypte qui sont tous deux arrivés au pouvoir en culbutant le tyran. Si le PJD a certes surfé sur la tornade de 2011, il est en réalité venu pour cautionner une continuité du régime, comme l’a fait en 1998 l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le grand parti de gauche après 40 ans d’opposition.
2 - Il a gagné haut la main des élections transparentes
On l’oublie trop souvent, le PJD n’a pas fait de raz-de-marée et a été contraint de constituer une coalition fragile nouée avec d’autres formations politiques qui ne partagent que très peu sa vision. Le taux de participation aux législatives a été faible et les élections ont été comme par le passé entachées d’innombrables irrégularités.Des élections plus transparentes que les précédentes? Peut-être, mais «cependant conduites à l’ancienne, avec un mode de scrutin, un découpage électoral et un contrôle qui empêchent toute mauvaise surprise ultérieure», note l’éditorialiste d’Akhbar Al Yaoum.
3 - Il est populaire
La personnalité de Benkirane, sa gouaille, ses sorties tonitruantes dans les médias, son sens de la mise en scène ont amusé un temps les Marocains peu habitués à voir un Premier ministre aussi expansif. Personne ne sait s’il a vraiment séduit les foules, car il est impossible de mesurer la cote de popularité d’un homme politique au Maroc, tout sondage d’opinion dans ce sens étant interdit.On peut juste se dire que son populisme a mis de l’ambiance dans un landerneau politique connu pour son marasme. Avec le temps et l’habitude, les grandes envolées et les petites phrases de Benkirane ont laissé la place à un constat d’échec qui est certainement très palpables puisque ses principales promesses électorales n’ont pas été tenues.
4- La Constitution lui donne de vrais pouvoirs
La Constitution adoptée à plus de 98% des voix exprimées par référendum à l’été 2011 devait consacrer dans le texte un rôle prééminent du chef du gouvernement. C’était sans compter les chausses-trappes qu’elle contient et qui paradoxalement donnent encore plus de pouvoir au Roi.5- Il dirige le gouvernement
Avant la nomination du gouvernement Benkirane, le Palais l’a confiné à un rôle subalterne dans la gestion du pays. Une volée d’ambassadeurs ont été nommés par le Palais pour s’assurer les commandes de la diplomatie, un véritable «shadow cabinet» (cabinet fantôme) a été mis en place au cœur du pouvoir régalien dont les prérogatives dépassent dans les faits celle des ministres officiels, les portefeuilles des offices stratégiques qui mettent en application la politique de l’État ont été distribués à des personnalités proches du Cabinet royal.Enfin, la technostructure, c’est-à-dire la caste des hauts fonctionnaires de l’administration (dont font partie certains ministres de la coalition) continue de recevoir directement ses directives des Conseillers du roi. Affaires étrangères– dont le dossier ultrasensible du Sahara ccidental -, économie et finances, agriculture, affaires islamiques, sécurité intérieure, armée, médias publics, gestion des grands projets – le TGV entre autres - constituent des dossiers qui échappent à la tutelle des islamistes.
Par ailleurs, le gouvernement hétéroclite agit en ordre dispersé: «La coalition gouvernementale n’est pas au top de sa forme. Avec son principal alliél’Istiqlal, le courant ne passe pas au point que leurs échanges se font par communiqués de presse interposés», constate le journal L’Economiste qui lui reproche «un bilan au passif inquiétant» et une incapacité «à marquer son territoire».
6- Il est l’homme de la rupture
La rupture promise par Benkirane devait prendre forme dans trois domaines essentiels: le social, la bonne gouvernance et les droits de l’Homme. Les grands chantiers destinés à favoriser la justice sociale sont au point mort, Benkirane n’ayant pas fait valoir de stratégie pour resoudre le problème explosif des diplômés-chômeurs. Aucune réforme institutionnelle – comme celle concernant la Chambre des Conseillers - n’a été mise en œuvre.En simple rodage, le gouvernement n’a pas su donner une impulsion décisive à la soumission au Parlement des lois organiques censées mettre en application la nouvelle Constitution. Si le PJD a pu arracher le ministère de la Justice, traditionnellement chasse gardée du roi, ses actions ont été systématiquement contrecarrées. De nombreux militants du Mouvement du 20 février ont été jetés en prison suite à des procès politiques iniques, la pratique de la torture dans les prisons n’a pas été combattue, la presse subit toujours la répression etc...
7- Il met en place un programme conservateur
Même par rapport à son idéologie, le gouvernement islamiste est incapable de réaliser ses objectifs. Benkirane et certains de ses ministres ont vainement tenté de donner une couleur islamiste à leur programme, notamment en essayant de modifier la grille des programmes du bouquet de la télévision d’État. Le Roi les en a dissuadés.Même constat sur la publicité sur l’alcool, ou sur la doctrine culturelle dite de «l’art propre», elles aussi remisées au placard.
8- Il «cohabite» avec le Roi
La presse s’entiche de ce concept de «cohabitation» pour expliquer qu’il existerait un subtil partage des pouvoirs entre le Roi et son Premier ministre. La réalité est beaucoup plus nuancée. Le gouvernement devenu très consensuel est relégué à l’intendance.«Nous sommes là encore face à la particularité marocaine qui ne s’oppose pas au changement, mais qui l’apprivoise, le contient et compose avec lui… Tantôt c’est le Makhzen qui accepte quelques concessions, tantôt il incite la partie en face à en concéder, le résultat étant que le pays continue à tourner en rond en faisant du surplace et en repassant continuellement par le point de départ», constate Akhbar Al Yaoum.Dernier signe d’une soumission totale de l’Éxecutif au Palais, cette indiscrétion relatée par la presse qui révèle que le Premier ministre a dû solliciter un arbitrage royal pour mettre fin à la cacophonie du gouvernement.
9 - Il combat la corruption
Les effets d’annonce dans ce domaine ont été les plus explicites. Dans les faits, le gouvernement a rendu publique la liste les bénéficiaires de rentes économiques: agréments de transport et licences d’exploitation de carrières de sables distribués depuis des dizaines d’années par l’État à une ribambelle d’obligés.Ce petit «effet Wikileaks» en interne n’a pas été suivi de décisions concrètes. Pire, ces listes auraient été préalablement expurgées de certaines personnalités. Les dossiers noirs de la Cour des comptes ont été confiés à un homme du sérail, Driss Jettou, nommé à la barbe de Benkirane au moment où le Roi lui même faisait valser une poignée de douaniers corrompus et expédiait à la case prison quelques patrons de grandes entreprises publiques soupçonnés de gabegie.
Une manière de signifier que dans ce rayon, comme dans celui du social, tout le bénéfice doit revenir au monarque et à lui seul. Benkirane n’a t-il pas dit lui-même que ce dossier était ardu et qu’il fallait laisser au temps le soin de l’assainir?
10 - Il va assainir les finances de l’État
Le Maroc traverse une grave crise budgétaire. Pourtant, La loi de Finances 2013 donne la part belle aux dépenses de la Cour. Elle a été concoctée par un ministère des Finances largement vassalisé au Palais alors que le taux de croissance n’excède guère 2,8 %, que le déficit public dépasse les 6 %, et que le chômage des jeunes instruits excède les 30%. Même la rude décompensation des produits de première nécessité, devenue trop coûteuse pour le budget, a été soumise aux fourches caudines du Palais.Jalal Ibrahimi
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