La Kabylie, Le Terrorisme Et Les Arouchs Ou L’opération « Jumelles » Réussie De L’Etat Algérien.
Par Amar Cheballah
Contrairement à ce que l’on pourrait comprendre, « Jumelles » ne signifie pas longue vue. Les stratèges politiques et militaires de la colonisation, par le mot « Jumelles » entendaient les deux Kabylie, la grande et la petite qui s’étendait jusqu’à Annaba, en passant par Bejaia, Skikda et Jijel. Le but de l’opération n’était pas seulement de nettoyer la résistance populaire, mais de corrompre l’imaginaire collectif par la terreur et la corruption. Les autorités politiques et militaires de la colonisation ont misé sur la destruction des lieux de socialisation qui ont alimenté et nourri l’esprit patriotique de la région. En 1959, la grande Kabylie et la petite Kabylie ont été le théâtre de la prolifération des lieux de débauche et de la contre bande. Les harkis, les militaires français et les populations locales se retrouvaient chaque soir autour d’un bon vin… A partir des années 90 et 2000 l’Etat Algérien pour contrôler tous les espaces en Kabylie, relance la même initiative, c’est-à-dire l’opération « Jumelles » en s’appuyant tour à tour sur le terrorisme, les Arouchs et l’islamisme soft…
Un kabyle qui, ayant quitté depuis longtemps le Djurdjura, reviendrait aujourd’hui dans son village natal, serait surpris par les changements du paysage et la perte des repères ancestraux. Les formes et les surfaces des parcelles ont été modifiées par le remembrement et l’explosion démographique des années 70. Quant aux traditions, beaucoup d’entre elles ont disparu, alors que d’autres inspirées par les mutations scientifiques et technologiques sont apparues à la fin des années 1990. Nos traditions n’ont pas réussi à trouver un point d’harmonie avec « l’impérialisme » culturel véhiculé aussi bien par l’Occident que par l’Orient auquel nous prétendons appartenir contre vents et marées.
Avant le début de la mécanisation et l’apparition du tracteur aux premières lueurs de l’indépendance, la ruralité dominait tout au Djurdjura et donnait un cachet culturel et identitaire propre à la Kabylie, voir à l’Algérie tout entière. En dépit de la politique carnassière de la colonisation, le pays n’a jamais rien cédé de sa spécificité. L’opération « Jumelle » lancée à partir de 1959 par les stratèges politiques et militaires de la France pour nettoyer les maquis de la wilaya III et faire oublier aux paysans du Djurdjura leur culture locale a lamentablement échoué. Tous les lieux de socialisation de l’identité algérienne, et donc kabyle, ont survécu à la politique d’aliénation et de clochardisation morale de la société mise en œuvre par la colonisation. La terre avait un sens sacré pour chaque habitant. Mais également la « zaouïa » et la « Djemaâ » qui constituait la suprême autorité morale et religieuse dans chaque contrée du Djurdjura. Le lien qui attachait chaque algérien à ces lieux de socialisation était plus fort que les privilèges que pouvait offrir l’immigration ou un emploi dans l’administration coloniale. Chaque citoyen se contentait de la production locale qui se limitait à la culture du blé, l’orge, l’olivier et le figuier ou encore l’élevage de quelques brebis et vaches pour survivre. Cela était valable jusqu’à la fin des années 1980.
Les plus anciens se souviennent qu’avant les années 1980, tous les conflits de la cité étaient réglés par la « Djemaâ ».La justice ne faisait qu’entériner les décisions de cette instance démocratique populaire. Les mariages, le divorce fortement réprimandé ainsi que le partage et la division des terres relevaient de l’autorité des sages du village. Les frais de chaque décès, hormis le suicide, étaient aussi à la charge de la « Djemaâ ». De même, les horaires de sortie à la fontaine étaient réglementés ente la femme et l’homme. Quand cette instance est dans l’incapacité de régler un problème, on sollicite l’arbitrage de la « zaouia ». C’est ainsi qu’est gérée la Kabylie jusqu’à la fin des années 1980.
En dehors des vallons, des montagnes ou des pentes trop abruptes qui réjouissent à ce jour l’œil du promeneur, tout le reste des terres était labouré. Dans les zones pierreuses, de nombreux buissons poussaient le long des propriétés, chaque cultivateur jetant les pierres au bord de son champ; cela formait autant de limites naturelles vite envahies par les épines.
Mais depuis ces deux dernières décennies que de changements en Kabylie ! On aurait dit qu’un cataclysme d’une rare violence est passé par le Djurdjura, tant toutes les valeurs locales se sont étiolées. Certes, l’explosion démographique a redessiné le paysage et a fait ressortir de nouvelles exigences. De nouveaux bâtiments sont construits à la périphérie, des pavillons de construction récente élargissent et rajeunissent chaque village, l’accès à un meilleur niveau et genre de vie est désormais à la portée de chaque citoyen, mais d’autres problèmes ont surgi : l’Algérien en général et le kabyle en particulier ne savent plus qui ils sont. Autant le peu de terre qui a échappé miraculeusement au béton est tombée en jachère, autant le paysan au Djurdjura ne sait plus faire de distinction entre l’Islam et l’islamisme, entre la légalité et la corruption, entre la vérité et le mensonge, entre le bien et le mal. En acceptant de renoncer à ses lieux de socialisation, il a fini par s’aliéner en devenant l’instrument inconscient d’autres cultures et d’autres religions dont l’objectif est l’asservissement moral des autres peuples…Un kamis, une barbichette, un blouson cuir avec l’effigie de M Jackson, un 4×4 et quelques euros…valent-ils réellement le prix de ces valeurs qui ont fait la grandeur de l’Algérie et de la Kabylie ?
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