Religion Affaire de l’exorcisée à mort en Belgique : Le frère de Latifa Hachmi témoigne [Interview]
18.05.2012 | 14h11Article lu 1449 fois Réagissez à cet article (2) Propos recueillis par Alexis Mehdi Mantrach
Huit ans de combat acharné pour que justice soit faite. Fouad Hachmi, frère de Latifa Hachmi, la MRE exorcisée à mort en 2004, est animé par une détermination transcendante : celle de faire punir les bourreaux de sa sœur. Parce qu'elle ne réussissait pas à tomber enceinte, cinq exorcistes auto-proclamés ont, avec l'aval de son mari, précipité la mort de la jeune femme en pratiquant sur elle le rite exorciste de la Roqya. Ils avaient été alors condamné à une peine légère pour homicide involontaire. Aujourd'hui, alors que s'est ouvert Lundi dernier un nouveau procès en assises visant à requalifier les faits en « tortures ayant conduit à la mort », Fouad Hachmi témoigne. Sa douleur, sa rancoeur, ses attentes. Témoignage.
Latifa Hachmi avait subi de nombreuses cures d'exorcisme dans le mois précédent sa mort
Yabiladi : Quelles sont les preuves matérielles sur lesquelles la cour d’appel s’est fondée pour requalifier les faits en « torture ayant conduit à la mort » ?
Fouad Hachmi : Il y en a eu plusieurs. Le premier concerne l’autopsie du corps de Latifa qui a révélé qu’elle aurait reçu, durant le mois précédent sa mort, plus de 40 coups. La plupart de ces coups ont été infligés par un objet contendant qui n’a jamais été retrouvé au domicile de ma sœur [ndlr. une batte de baseball aurait été retrouvée néanmoins au domicile d’un des accusés]. Deuxième élément à charge : les témoignages, maintes et maintes fois modifiés, et qui ont mis en lumière plusieurs incohérences. Certains d’entre eux relataient d’ailleurs la dissimulation de l’objet contendant alors que d’autres en niaient l’existence. Enfin, troisième élément : le mode de fonctionnement du groupe, qui avec du recul, nous a fait penser au fonctionnement d’une secte, avec à sa tête un gourou – le cheikh Aznagui, son disciple – le néo-musulman Xavier Meert, trois exécutantes – Jamila Zian, Fatima Zekhnini et Hayate Saif Nasr, et, enfin, mon ex-beau-frère – Mourad Mazouj.
Concernant Mourad Mazouj, le mari de Latifa, que pensez-vous de son attitude lors de l’affaire et du procès ?
Le jour de la mort de Latifa, mon père s’est rendu au domicile de ma sœur et est tombé sur son mari. Ce dernier lui a dit que ma sœur était sortie faire une course. Mon père l’a cru, puis est reparti. Plus tard dans la journée, vers 13h, mon père repasse chez elle et il voit une ambulance. Bien entendu, paniqué, il rentre en trombe dans son domicile et tombe nez-à-nez avec une équipe de réanimation qui tentait de sauver ma soeur. Là, il comprend que quelque chose de très grave vient de lui arriver. Le plus étrange dans cette histoire, c’est l’attitude de mon ex-beau-frère : il va voir mon père en pleurant à chaudes larmes et lui dit ne rien avoir compris, ni même vu de suspect qui puisse laisser présager d’un tel drame.
Cette posture, entre déni et fausse compassion, c’en est une qu’il maintiendra tout au long du procès, qu’il s’agisse de celui de 2004 ou de l’actuel. Pour ma part, je crois qu’il est totalement impliqué dans les tortures qui ont mené à la mort de ma sœur. A plusieurs reprises d’ailleurs avant sa mort, nous avions eu des témoignages d’actes de violence répétés de la part de Mourad à son encontre. De plus, quelques temps après le premier procès, nous avons appris que Latifa voulait le quitter, ce qui, en plus de son incapacité à tomber enceinte, aurait pu définitivement finir par convaincre Mourad que ma sœur était bel et bien possédée par des démons. Je tiens à rappeler qu’au début de l’affaire, nous avons cru en son innocence ; d’ailleurs, nous sommes même allés jusqu’à lui prendre un ténor du barreau pour défendre son cas. Ce n’est qu’en venant au Maroc pour l’enterrer, et en parlant de ce qui était arrivé à ma sœur avec des gens de la famille, que nous avons commencé à avoir des doutes sur son innocence.
A ce propos, est-il vrai que ce serait lui, et non votre sœur, qui serait stérile ?
A vrai dire, il n’est pas stérile. Ni elle ne l’était d’ailleurs. Ils avaient tout simplement, l’un comme l’autre, un taux de fertilité en dessous de la moyenne ce qui, par conséquent, réduisait considérablement leurs chances d’avoir un bébé. Ma sœur avait d’ailleurs parlé à de nombreuses reprises de l’idée de recourir à l’insémination artificielle. Mais la secte ne lui aura pas laissé cette chance. Quant à son mari, qui s’est remarié en 2008, il n’est pas aussi impuissant qu’on a pu l’entendre puisqu’il est aujourd’hui père de trois enfants.
Quel est votre ressenti par rapport aux autres accusés, notamment le Cheikh Aznagui, considéré par beaucoup comme « le gourou de cette secte » ?
Abdelkrim Aznagui, alias le « cheikh », est effectivement le principal protagoniste dans cette histoire. C’est certainement par sa faute que Latifa s’est retrouvée prisonnière d’un labyrinthe de dogmes qui ont conduit à sa mort. Aznagui est un personnage de notoriété publique en Belgique, connu non seulement pour pratiquer des séances d’exorcismes, mais aussi pour faire des conférences en berbère durant lesquelles il prononce des discours salafistes au nom du Cheikh Abou Chayma. Pour moi, Aznagui n’est qu’un usurpateur, qu’un imposteur, qui s’est fait un nom en récitant tout au long de sa vie trois sourates dont il ignore même le sens. Xavier Meert, son disciple, alias « Abu Ayub Selim », l’accompagne lui aussi en général durant ses conférences, en Belgique et à l’étranger. Il n’est pas aussi « blanc comme neige » que son avocat cherche à le faire croire. Quant aux trois « sœurs », Jamila Zian, Fatima Zekhnini et Hayate Saif Nasr, je suis écœuré par leur double-jeu et leur hypocrisie : le jour de la mort de ma sœur, alors que nous pleurions sa mort à mon domicile, elles sont toutes les trois passées pour demander à ma mère si elle avait besoin de quelque chose. Ma mère leur a répondu que non. Puis, voyant que cette dernière se levait pour enduire le corps de ma sœur d’huile sainte, les trois « sœurs », qui craignaient que ma mère ne sentent l’odeur des mixtures qu’elles l’avaient forcées à ingurgiter ou celles des huiles qu’elles lui avaient appliquées sur le corps de Latifa dans le mois précédent sa mort, se sont levées comme un seul homme et lui ont dit : « Ne te dérange pas khalti, on va nous même lui oindre le corps ! ».« Khalti ?! » Des femmes qui ont réalisées à plusieurs reprises des massages vaginaux, ou entrées leurs mains dans la bouche de Latifa au point de lui faire exploser la carotide, et qui appelle ma mère Khalti ?! Mais qui sont ces gens ?!
Qu’attendez-vous de ce procès ?
Ma sœur est décédée en 2004. Nous sommes en 2012. Cela fait maintenant huit ans que je patiente. Huit ans en « standby ». On a toujours respecté la justice mais nous attendons d’elle aujourd’hui qu’elle rende un jugement équitable, correct et exemplaire. Nous voulons qu’elle reconnaisse la souffrance infligée à notre famille et qu’elle établisse le rôle de chacun des protagonistes dans cette affaire. Notre avocat (Me Jean-Paul Tieleman) réclame la peine à perpétuité pour les principaux d’entre eux. Nous voulons également que cette histoire serve de débat constructif sur l’Islam, et sur ses dérives lorsque celui-ci est dévoyé de son caractère essentiel, de son humanisme, par des individus qui croient avoir le pouvoir de décider qui est musulman et qui ne l’est pas. L’Islam est la religion de la tolérance, et nous voulons que le drame de ma sœur le rappelle.
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